Pages et Plage



Musique originale © copyright Thiazung

PIÈGE VIRTUEL
Dangereux périple au coeur d’un jeu vidéo !

Alain MOREAU
science-fiction
 © Piège virtuel 1998


ISBN du fichier numérique : 2-7481-2217-8 et ISBN du roman imprimé : 2-7481-2216-X


IDDN Certification
© Pages et Plage 2001 Création Alain Moreau
Chapitre 1 Chapitre 2 Chapitre 3 Chapitre 4 Chapitre 5 Chapitre 6

Chapitre 7 Chapitre 8 Chapitre 9 Chapitre 10 Chapitre 11 Épilogue


Toute ressemblance ou homonymie avec des personnes existantes ou ayant existé serait fortuite et involontaire.
Illustrations originales de l’auteur. Tous droits réservés.


1



Matthieu consulta la carte interstellaire qui scintillait sur son écran, elle ressemblait maintenant à une immense toile d’araignée multicolore. À bord de son vaisseau de transports rapides il avait sillonné toute la galaxie, joint toutes les planètes et toutes les colonies artificielles de l’espace. La majorité de ses missions lui avaient été discrètement confiées par les services secrets de l’Empire galactique. Il ne lui restait plus qu’une voie à découvrir, c’était son dernier vol avant de rejoindre la Terre.
— Allons-y en douceur. Je ne sais pas pourquoi, j’ai l’intuition que cette dernière étape est un piège… mais je saurai bien m’en sortir, dit-il à haute voix en déclenchant les puissants réacteurs dans un hurlement aigu.
Il vérifia son énergie, activa le champ de force et frappa rapidement les coordonnées de la prochaine station. Son vaisseau spatial s’ébranla, et soudain le temps parut s’arrêter. À quarante mille kilomètres de sa destination, un message autoritaire lui intima l’ordre de stopper son vol, il s’agissait d’un énorme bâtiment impérial. Matthieu appuya sur une touche, consulta l’écran de contrôle, et les caractéristiques de son interlocuteur apparurent.
— Sa puissance de feu est dix fois supérieure à la mienne, mais il est trois fois moins rapide. De toute façon, je suis en mission secrète et je n’ai pas le droit de répondre, pensa le jeune pilote, passant outre.
Six points lumineux lui indiquèrent qu’une unité de petits intercepteurs de combat s’était lancée à ses trousses.

— En revanche, ceux-là sont deux fois plus rapides que moi, constata-t-il, en vérifiant l’intensité de son champ de force et en pointant ses puissants lance-missiles.
Il connaissait leur tactique d’approche, d’abord un dépassement au ras du fuselage, puis une série de figures d’intimidation. Seulement d’habitude, les cargo-transporteurs n’étaient pas armés, mais celui de Matthieu disposait d’une puissance de feu sans équivalent.
— Venez mes agneaux, murmura-t-il, en ajustant son tir.
Il appuya six fois sur la gâchette et les points lumineux disparurent. En souriant, il reprit la vitesse de la lumière, et l’œil rivé sur la barre d’énergie qui fondait à toute allure, le jeune homme ne mit que quelques secondes pour rejoindre l’ultime planète. C’était un repaire de confédérés, et de puissants vaisseaux de guerre l’encerclèrent. Sans tenir compte des avertissements agressifs qu’il captait sur la radio de bord, d’un souple mouvement du poignet sur le levier de commandes, Matthieu se glissa doucement vers la piste d’atterrissage, tout en évitant les nombreux tirs de missiles. L’aéroport grouillait de militaires et le jeune homme sentit une sueur froide couler sur sa nuque. Il déposa son chargement et fit le plein d’énergie.
À cet instant, un message apparut sur l’écran.
« Mission accomplie, vous êtes crédité de trente mille devises. Vous pouvez vous détendre quelques jours sur cette station-relais, nous vous contacterons prochainement. »
Le jeune homme jeta un nouveau regard sur l’aéroport, il savait qu’il ne trouverait sur place que des bars à soldats.
— Très peu pour moi, je préfère rejoindre la Terre tout de suite.
Il composa un nouveau code et s’envola sans demander son reste. Les vaisseaux de guerre, qui sillonnaient le ciel, ne lui firent aucune difficulté.
À trente mille mètres de la planète, un puissant éclair blanc l’éblouit. Matthieu vérifia ses écrans, la planète-relais venait d’exploser.
— C’était donc cela ma livraison… ? Je l’ai échappé belle. Ils avaient sans doute l’intention de se débarrasser aussi de moi, pensa-t-il en frissonnant. Je ferai mieux de changer de vaisseau, si je veux regagner la Terre sans encombre.
Le jeune homme activa son radar, il y avait quelques signaux dans son champ d’action.
Il repéra un petit transporteur postal, qui se dirigeait vers Vénus et n’allait pas tarder à croiser sa route. En dix secondes, il l’avait rejoint et lança un premier tir d’intimidation. Le commandant de bord ne résista pas, et l’équipage s’enfuit aussitôt dans une navette de secours. Matthieu arraisonna le petit bâtiment, et vérifia son contenu sur l’écran de contrôle. Il n’y avait plus âme qui vive, juste des sacs postaux qu’il plaça dans ses soutes. Il arma le transporteur, programma la destination de Vénus sur son propre vaisseau, et alors que les robots s’activaient pour l’échange, il revêtit sa combinaison spatiale et se rendit vers son nouveau véhicule. Dans le poste de pilotage, il pianota les coordonnées de la Terre, et s’éloigna rapidement, en calculant qu’il aurait à peine trois jours de vol. Il venait tout juste de s’éloigner, quand cinq vaisseaux de guerre légers le croisèrent, sans lui accorder la moindre attention. Le jeune homme vérifia leur destination. Ils se dirigeaient droit sur son ancien moyen de transport, qui explosa au premier tir.
— Il était temps, pensa-t-il.
Deux jours plus tard, il croisait la Lune, apercevant enfin la Terre. Sa mission prenait fin et il admira la Planète bleue, toujours aussi belle. Cela faisait bientôt trois ans qu’il l’avait quittée. Pour plus de discrétion, il se posa en plein désert de Californie et disparut dans un petit 4x4.
Alors « Victory » s’afficha sur l’écran et, délaissant son joystick, Matthieu regarda les chiffres s’afficher.
— Trois cent cinquante millions de points. Vous êtes au premier rang, donnez votre nom.
Matthieu frappa son prénom et ferma le programme, puis il parcourut le disque dur de son ordinateur. Tous les jeux qu’il contenait, il les connaissait maintenant par cœur.
— J’ai terminé celui-ci en trois heures seulement, il n’était pas mal, mais vraiment trop rapide.
Il s’étira sur son fauteuil, se leva et rejoignit sa mère, qui lisait sur la terrasse de leur propriété. Le temps était superbe, et il décida de piquer une tête dans la piscine qui jouxtait la maison.
— Tiens, te voilà enfin… ? lui dit sa mère, en riant. Je pensais que tu n’allais pas encore décoller de ton écran.
Le jeune homme sortit du bassin, et s’allongea sur un bain de soleil.
— J’ai fini le dernier jeu, il était super mais je n’en ai plus, je les ai tous terminés.
— Comme c’est triste, tu vas t’ennuyer… se moqua sa mère. Téléphone à tes copains, et allez faire un tennis.
— Ils sont tous partis en vacances.
Il se sécha rapidement, enfila un tee-shirt californien et un bermuda, puis il vérifia le contenu de son portefeuille, et constata qu’il avait tout juste de quoi s’offrir un nouveau CD-Rom.
— Maman, je vais au centre commercial chez le revendeur, pour voir s’il a reçu de nouveaux jeux.
— N’oublie pas de fermer ton casque, sinon il ne sert à rien. As-tu assez d’argent ?
— J’ai cinq cent francs. Ne t’inquiète pas je le boucle toujours, répondit le garçon, tout en enfilant son casque.
La résidence était déserte, et la route qui menait au centre commercial, à dix kilomètres de là, traversait la forêt de Saint-Germain. Matthieu aimait bien l’emprunter, son scooter ne dépassait pas les soixante km/h et sur cette voie étroite et bordée d’arbres, il avait l’impression de rouler plus vite.
Une demi-heure plus tard, il stationnait devant la vitrine d’un magasin spécialisé. Il plaça son casque dans un coffre situé sous la selle, vérifia son antivol, et activa son alarme. Ces petits engins disparaissaient souvent très vite, et il s’en était déjà fait voler un. À l’intérieur de la boutique, le vendeur, qui le connaissait bien, le salua en lui faisant un clin d’œil complice.
— Bonjour jeune homme, avez-vous vu le bijou qu’ils viennent de sortir ?
Matthieu admira le dernier ordinateur gris graphite, en un seul bloc, muni de l’option télévision et d’internet.
— Il est superbe, et encore plus puissant que le mien qui n’a que six mois… et de plus, il est au même prix, c’est étonnant…

— Tout va tellement vite. Ils parlent déjà d’un nouveau modèle, encore plus rapide, même moi je n’arrive pas à suivre… à peine en magasin, je suis obligé de les solder. Pour les logiciels c’est pareil, ils évoluent deux fois par an.
Matthieu sourit poliment et parcourut les rayons, sans trouver ce qu’il cherchait, les nouveautés étaient rares.
Alors qu’il décryptait une jaquette de simulateur de vol en anglais, un homme d’une trentaine d’années, style étudiant attardé, l’aborda.
— Rien de bien nouveau, dans cette boutique. Tu cherches quoi, au juste ?
— Un jeu d’aventures qui sorte de l’ordinaire, répondit le jeune homme. J’aimerais trouver à la fois une quête, des poursuites en voiture ou en avion et des combats. Quelque chose qui dure plus de trois heures, j’ai épuisé tous les autres tellement vite…
— Je m’appelle Gilles Boris, et je conçois des jeux vidéo. Je recherche des jeunes qui accepteraient de les tester, et je viens d’en terminer un très complet. Si tu veux, je t’en prête un exemplaire. Je te demande simplement de me faire un rapport écrit sur ses qualités et ses défauts. Tu serais d’accord ?
— Avec plaisir ! Je m’appelle Matthieu Tréson. Tester un nouveau jeu, c’est génial, acquiesça le jeune homme.
— Tu verras, il est très excitant et dure plusieurs jours. Au fait, quel âge as-tu ? poursuivit Gilles Boris. Si tu as plus de seize ans, j’ai le droit de te rémunérer pour cela, je peux te payer mille francs pour un test.
— Super ! Je viens tout juste d’avoir seize ans.
— C’est parfait. Donne-moi ton adresse, et je viens l’installer chez toi, ce soir. Je ne peux pas te confier de CD-Rom, je ne dispose que d’un seul prototype.
Matthieu confia son adresse, et rentra chez lui, impatient de découvrir ce nouveau jeu. De plus, il allait être payé pour cela, avec mille francs il aurait de quoi s’offrir d’autres logiciels… Il informa aussitôt sa mère de cette rencontre inattendue.
— C’est bien, tu vas pouvoir t’occuper, tu as de la chance, en plus tu vas gagner de l’argent…
À vingt heures précises, Gilles Boris sonnait chez lui, un boîtier sans jaquette à la main.
Matthieu le présenta à ses parents, et il guida son nouvel ami vers sa chambre, où un puissant ordinateur multimédia ronronnait. L’informaticien glissa le disque argenté dans son lecteur, et pianota pour l’intégrer dans l’espace mémoire. Le logiciel pesait lourd, et Matthieu en conclut qu’il devait être très complet.
— Heureusement que j’ai encore de la place disponible sur le disque dur, pensa-t-il.
— Voila, tu peux l’ouvrir maintenant, tout est paramétré, dit Gilles Boris, en souriant. Tu n’es pas au bout de tes surprises, et tu ne regretteras pas de m’avoir connu. N’aurais-tu pas quelque chose à boire ? Je meurs de soif, avoua-t-il soudain.
— Bien sûr ! Excusez-moi, répondit Matthieu, confus, en se précipitant vers la cuisine.
Il revint très vite, une bouteille de coca et deux verres à la main. Il les remplit, et prit place en face de l’ordinateur, subjugué par le jeu qui s’ouvrait devant ses yeux. Il s’appelait « Piège virtuel », ce nom sonnait comme une promesse, et Matthieu l’aimait déjà. Il s’apprêtait à commencer une partie, lorsque Gilles Boris lui tendit son verre.
— Tiens Matthieu, tu n’as pas touché à ton coca.
Le jeune homme le remercia, et but d’un trait, sans quitter des yeux l’écran qui le fascinait.

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2


Le labyrinthe infernal

Matthieu se réveilla douloureusement, avec l’impression que sa tête pesait une tonne.
— Bon sang, mais que m’arrive-t-il ? J’ai la tête comme un tambour.
Encore à demi inconscient, la mémoire lui revint doucement.
— Gilles Boris, est venu installer un nouveau jeu-test sur mon ordinateur. Il m’a demandé une boisson et m’a tendu un verre, alors que j’étais occupé à le découvrir. Ensuite, je ne me souviens de rien.
Il fouilla sa mémoire, mais à part la visite de Gilles Boris, il ne voyait rien d’autre. De son cerveau embrumé, comme dans un rêve il se vit dehors, il faisait nuit noire et il montait dans une automobile, dont il n’arrivait pas à situer la marque. Seul le souvenir d’une odeur de cuir et de bois, mêlée à celle d’un havane le hantait… Il sortit doucement de sa torpeur, et regarda autour de lui. Il se trouvait dans une pièce sans fenêtre et sans porte, faiblement éclairée, elle devait mesurer trois mètres sur cinq, et semblait tapissée de feuilles de métal verdâtres, qu’il trouva sinistres. Il se mit debout, et entreprit de faire le tour de cette pièce. Elle ne disposait d’aucun mobilier, une chaleur lourde y régnait et il manquait d’oxygène. Il leva la tête vers le plafond qui était lui aussi en métal, avec en son centre un pâle néon. En baissant les yeux vers le sol, en béton brut et lisse, il ne put retenir un cri de surprise.
— Mais… ! Comment… ?
Il était vêtu d’un tee-shirt blanc et d’un jean, avec des rangers aux pieds… !

À ses côtés, un revolver était posé à terre, et plus loin un petit sac à dos qu’il ouvrit. Il vérifia son contenu : cinq chargeurs, un long couteau de chasse et des provisions de survie. Un large ceinturon, où étaient accrochés un fourreau pour le couteau, un étui pour le revolver et cinq autres chargeurs, complétait sa tenue.
— Ma parole ! Je rêve ou je deviens fou ? s’exclama-t-il.
Une folle panique le prit…
— Je dois absolument sortir d’ici !
Par mesure de sécurité, il vérifia le bon fonctionnement du revolver, avec une dextérité qui l’étonna. Il n’avait, jusqu’alors, jamais touché à une arme. Puis il glissa le couteau dans son étui, se leva, et fit le tour de sa prison, poussant sur toutes les parois, sans trouver la moindre ouverture.
— Et que vont dire mes parents ? Ils vont sûrement s’inquiéter, je suis peut-être ici depuis longtemps…
En relevant la tête, il remarqua que la pièce était ceinturée par une barre de fer rouillée, à au moins trois mètres cinquante du sol.
— Sportif comme je suis, je ne risque pas de l’atteindre. C’est impossible, constata-t-il découragé.
Matthieu parcourut à nouveau du regard sa sinistre prison, et fixa la barre de fer, qui semblait le narguer.
— De toute façon, je n’ai pas le choix. Je dois essayer !
Il prit du recul, et courut vers le mur du fond, bondit, en prenant appui sur la tôle avec son pied droit, se détendit, et retomba lourdement sur le sol. Il essaya cinq fois, et s’écroula, épuisé. Des cris, à l’extérieur de la pièce, lui redonnèrent du courage. Il s’élança une nouvelle fois, en regardant fixement cette maudite barre, et la saisit enfin. Elle ne bougea pas. Il avança doucement, à bout de bras, et entreprit de faire le tour de la pièce. Soudain, au centre d’un des murs, la barre de fer descendit et, dans un sinistre grincement, une des plaques se releva, dévoilant une ouverture.
Matthieu sauta, et se rétablit en souplesse.
— Si mon prof de gym me voyait, il n’en croirait pas ses yeux.
Le jeune homme sortit doucement, en empoignant le revolver. Bien lui en prit, deux hommes lui faisaient face, ils avaient le crâne rasé et le regard fixe, étaient vêtus d’un treillis vert, et armés de fusils à pompe.
Ils se précipitèrent vers lui, l’arme levée. Matthieu recula, apeuré.
— Halte, ne bouge plus ! crièrent-ils, en épaulant leur arme, menaçants.
Refoulant l’angoisse qui le gagnait, Matthieu leva son revolver. Sans vraiment viser, il l’empoigna à deux mains, comme il l’avait vu faire dans les films, et appuya sur la gâchette. À sa grande surprise, il fit mouche du premier coup, et les deux hommes s’écroulèrent raides morts. Alors une horrible envie de vomir le prit, et il se plia en deux, dans le fond de la cellule.
Des bruits de pas et de nouveaux cris percèrent ses tympans. Sans plus réfléchir, il rengaina son arme et se précipita hors de la pièce. Il se trouvait dans un vaste couloir, recouvert d’un granit qui ressemblait à une pierre tombale, et qui le fit frissonner. Il n’y avait qu’une issue possible, et Matthieu courut vers le bout du couloir, où une lueur indiquait la sortie. À l’extrémité, il constata que la lumière venait d’une large fenêtre, à droite et à gauche, il y avait deux couloirs, aussi sinistres que le précédent. Il regarda par l’ouverture, impossible de sauter, le sol était au moins à vingt mètres et le mur en béton brut était totalement lisse.
— Mais où suis-je donc ? Je n’ai jamais vu un tel paysage.
Le ciel était rouge vif avec un soleil orange. À l’horizon, on discernait des montagnes austères, très sombres, il n’y avait pas un souffle de vent, et une chaleur pesante émanait de l’extérieur. Matthieu toucha le rebord métallique de la fenêtre et retira brusquement sa main, en criant de douleur. Il était brûlant.
Son hurlement avait dû alerter d’autres hommes, car il entendit des bruits de pas rapides et des aboiements, venant du couloir de gauche. Cinq hommes armés apparurent, et des balles sifflèrent autour de lui. Pesant le pour et le contre, il enjamba la fenêtre et sauta dans le vide. Lorsqu’il toucha le sol, il ressentit comme un éclair et se retrouva… dans la cellule qu’il venait de quitter ! Il savait maintenant comment faire pour ressortir et reprit le processus, en saisissant la barre de fer du premier coup. Les deux gardes étaient à nouveau présents. Il les descendit une seconde fois, se munit d’un des fusils à pompe, vérifia le chargeur, et prit les munitions accrochées à la ceinture des deux hommes.
Puis il enfila le couloir au galop et partit en courant dans celui de droite, sentant ses poursuivants se rapprocher inexorablement. À l’extrémité du couloir, il y avait un mur, surmonté d’une étrange sculpture avec quatre lettres entrelacées, qu’il ne prit pas la peine de déchiffrer.

En posant sa main gauche sur la sculpture, Matthieu déclencha l’ouverture d’un passage, et découvrit une pièce identique à celle dans laquelle il s’était éveillé.
Le jeune homme ne se retourna pas, lorsqu’il entendit le panneau se refermer. Il avait compris qu’il était à nouveau prisonnier, mais maintenant il connaissait la tactique pour sortir de la cellule. Il s’apprêtait à sauter pour attraper la barre de fer au plafond, lorsqu’un cri le retint.
— Au secours ! Par pitié !
Il se retourna et scruta la pénombre. Un homme était couché, à l’angle de la pièce, visiblement grièvement blessé, baignant dans son sang. Il devait avoir trente ans et paraissait athlétique. Sa tenue vestimentaire frappa Matthieu, il était habillé exactement comme lui mais n’avait plus d’arme, son étui était vide. Le jeune homme constata que l’inconnu avait toujours son couteau, et s’approcha doucement, le canon du fusil dirigé vers lui.
— Ne tirez pas, je vous en prie, nous sommes dans le même camp, supplia le blessé.
— J’aimerais bien savoir de quel camp vous parlez. Je me suis réveillé dans une cellule de ce type, et je ne sais toujours pas par quel funeste miracle, répondit Matthieu.
— Je vais vous l’expliquer, … si vous baissez votre arme. Mais tout d’abord, soignez-moi, vous avez ce qu’il faut dans votre sac, logiquement.
Sans poser son arme et sans quitter l’inconnu des yeux, Matthieu s’accroupit et vida le contenu de son sac sur le sol de la cellule.
— La boîte de pilules bleues, ouvrez-là. Et, comme le jeune homme hésitait… Faites-moi confiance, il ne s’agit pas d’un piège.
Matthieu lui tendit la boîte, en baissant son fusil. L’homme avala une pilule et sembla revivre. Une seconde plus tard, il se redressait et se reculait en écartant doucement les bras, pour montrer qu’il n’était pas armé. Matthieu constata qu’il n’était pas plus grand que lui, malgré les apparences.
— Je vous imaginais plus grand. En fait, nous faisons approximativement la même taille.
— Nous faisons effectivement la même taille, deux mètres dix, exactement, avec cent vingt kilos de muscles, ce qui n’est pas notre morphologie habituelle. Mais, je vois que vous ne savez pas encore où nous sommes.
Et devant le regard interloqué de son compagnon, l’homme rit tristement.
— Nous sommes, vous et moi, prisonniers du « Labyrinthe infernal », c’est du moins comme cela que je l’ai appelé. J’y suis depuis plusieurs heures ou plusieurs jours, je ne sais pas. La seule chose dont je suis convaincu, c’est que nous ne pourrons pas en sortir sans avoir fini.
— Mais sans avoir fini quoi ? s’inquiéta Matthieu.
— Avez-vous essayé de sauter par la fenêtre ? se contenta de lui répondre l’inconnu.
— Oui, des hommes armés me tiraient dessus. Je me suis, malheureusement, retrouvé au point de départ.
— Voilà, moi aussi, et bien d’autres fois encore, j’en ai conclu que je ne pourrai pas sortir sans tuer tous les occupants de cet endroit maudit. Mais tout d’abord, je dois vous conter mon aventure. Je m’appelle Serge Alès et suis informaticien, je conçois des jeux vidéo et je travaille quelquefois avec Gilles Boris, qui est bien connu pour sa réussite dans ce domaine. Je venais de terminer un jeu de courses automobiles et le testait avec lui, il fonctionnait parfaitement et nous avons décidé de fêter cette réussite, en portant un toast que Gilles m’a servi… Puis je me suis retrouvé dans cette cellule, avec la tête en plomb… La suite, vous pouvez aisément l’imaginer, j’ai fini ici, privé d’arme et grièvement blessé après avoir exploré ce labyrinthe, sans trouver la sortie.
— Mais, c’est monstrueux ! Moi aussi j’ai connu Gilles Boris, il m’a demandé de tester un nouveau jeu et il m’a aussi offert un verre. Vous ne pensez tout de même pas que c’est lui le responsable… ?
— Je préfère ne pas y penser. La seule chose que je sais, c’est que nous devons en sortir, en massacrant tous les occupants s’il le faut.
— Je pense que vous avez raison, Serge. Au fait, je m’appelle Matthieu Tréson et j’ai seize ans, répondit le jeune homme, en lui tendant le fusil à pompe et des chargeurs.
Puis il sauta, pour s’accrocher à la barre de fer qui courait autour de la pièce. La porte s’ouvrit en grinçant, bruit couvert par des aboiements rageurs et les tirs de Serge. Lorsque Matthieu toucha terre à nouveau, son compagnon d’infortune avait déjà abattu cinq hommes, et trois chiens bizarrement violets. Le jeune homme se précipita, pour récupérer un fusil et de nouveaux chargeurs.

Comme d’autres gardes surgissaient, ils s’ouvrirent un passage à coups de fusils, se fournissant en munitions sur les cadavres. Ils rejoignirent à nouveau la fenêtre d’où Matthieu avait sauté, et s’engagèrent dans le second couloir.
— Tu l’as déjà visité celui-ci ? demanda Serge.
Et comme son jeune compagnon faisait non de la tête, il ajouta :
— Si nous atteignons la grande salle, nous pourrons sortir, mais je reste persuadé qu’il faut tous les tuer avant. Je suis déjà revenu trois fois ici, et j’aimerais en finir maintenant.
Il venait de terminer sa phrase, lorsqu’une rafale de mitraillette le fit chanceler, dix hommes étaient sortis d’une porte invisible et les attaquaient. Matthieu répliqua aussitôt et en abattit deux, puis s’avançant, il récupéra une mitraillette et liquida les autres. Son compagnon, qui s’était écroulé sous la rafale, prit une nouvelle pilule, se redressa, et saisit lui aussi une mitraillette.
— Cours, cours sans te retourner ! Nous devons atteindre la grande salle coûte que coûte, hurla-t-il.
Les jeunes hommes se propulsèrent dans le couloir et atteignirent une immense pièce ronde de vingt mètres de diamètre, avec au centre une sorte de pyramide bâtie de pierres blanches, qui contrastaient étrangement avec le métal verdâtre qui tapissait les murs. Ils la rejoignirent en courant, gravirent une trentaine de marches et se retournèrent. Bien leur en prit, huit monstrueux chiens violets se ruaient sur eux, ils les abattirent en trois rafales de mitraillette et continuèrent leur ascension. Au sommet de l’étrange pyramide, Matthieu constata qu’il y avait un temple en marbre blanc, avec un piédestal rond ; il le contourna rapidement, suivi par Serge.
Alors que des gardes atteignaient la pièce en vociférant, un objet, posé sur le sol, attira son attention.
— On jurerait un pistolet laser ! Là, je suis vraiment en plein rêve.
Leurs poursuivants s’approchaient et encerclaient l’édifice, ils devaient être trente, tous armés de mitraillettes, et ressemblaient à des zombies.
— Eh bien, mon vieux, tu n’a plus qu’à apprendre à te servir de cet engin au plus vite, se dit Matthieu affolé.
Il observa l’arme. Elle était totalement lisse et une diode clignotait, affichant vraisemblablement la charge. Juste au-dessus, un bouton marqué de un à dix devait permettre d’ajuster l’intensité du tir, il semblait réglé au maximum.
Le jeune homme saisit doucement le pistolet, il était très léger ; à la place de la gâchette il y avait un unique bouton. Matthieu pointa le canon vers les assaillants et appuya sur la détente, ils tombèrent comme des mouches. En fait, le maniement était ultra simple, Matthieu n’avait ressentit aucun recul, pourtant la puissance de feu était considérable. Il vérifia la diode de charge, elle n’avait pas bougé. Il venait des gardes de tous les côtés, maintenant. En courant autour du temple et, sans s’arrêter de tirer, le jeune homme cherchait vainement une issue. Soudain, il découvrit un interrupteur rouge sur le piédestal, se hissa prestement sur celui-ci, et tendit la main pour l’actionner.
— Non Matthieu ! Pas maintenant ! Il faut tous les liquider d’abord, si nous ne voulons pas revenir, hurla son compagnon d’infortune.
Ils terminèrent le travail, épuisés par le nombre d’assaillants, un silence impressionnant fit suite à ce vacarme sanglant. Prudemment, ils visitèrent tout le bâtiment. Serge poussait sur les murs, de temps en temps, découvrant un passage secret et tirant sur tout ce qui bougeait à l’intérieur. Il récupéra ainsi son revolver, son sac et sa ration de survie, puis un second pistolet laser.
— En fait, il s’agit d’un véritable labyrinthe, s’exclama Matthieu. Saviez-vous qu’il y avait autant de passages ?
Serge semblait hésitant, et le jeune homme en conclut qu’il connaissait déjà la plupart de ces passages.
— … Non, mais nous devons en découvrir d’autres, il nous faut absolument des pièces d’or.
— De l’or ! Mais pourquoi faire ? L’important c’est de sortir d’ici, il n’y a vraisemblablement plus aucun survivant.
— Pour la prochaine étape nous avons besoin d’or. J’ai déjà actionné le bouton du temple avant de me retrouver dans ma cellule, blessé et sans arme, rétorqua Serge, énigmatique.
— Eh bien, cherchons encore, approuva Matthieu en sondant les murs avec son poing.
Ils étaient dans une petite pièce ronde, en marbre blanc sculpté. Une centaine de ronds, aux initiales entrelacées, faisaient le tour de la pièce, à un mètre cinquante de hauteur.
— Avez-vous une idée de ce que veulent dire ces quatre lettres ? demanda le jeune homme.
— « B.G.P.C. », il me semble oui, épela Serge en pâlissant. Ou plutôt, « G.B.P.C. », Gilles Boris Power Computing. Je n’ose pas y croire … !
— Alors ce serait vraiment lui qui nous aurait envoyés ici ? Comment est-ce possible ?
Après quelques minutes de recherche, Matthieu actionna l’ouverture d’un nouveau passage secret ; un escalier en colimaçon faiblement éclairé montait vers une destination inconnue. Ils l’empruntèrent puis se figèrent. Un triple rugissement terrifiant se fit entendre, juste au-dessus d’eux.
— On dirait des lions monstrueux, murmura Matthieu en frémissant.
Ils vérifièrent le bon fonctionnement de leur pistolet laser et gravirent les marches, en retenant leur souffle. Ils atteignirent une immense chapelle de granit avec de grandes ouvertures en ogive, inaccessibles, au travers desquelles ils pouvaient apercevoir l’impressionnant ciel rouge. Un puissant rugissement les rappela à la réalité, trois lions les attaquaient. Matthieu n’en avait jamais vu de pareil, ils étaient orange, avec des yeux injectés de sang, et trois fois plus gros qu’un lion ordinaire. Imité par son compagnon, il leva son pistolet laser et tira comme un forcené. Ils abattirent chacun le leur, et alors que le troisième chargeait, ils se regardèrent effarés, leurs pistolets laser ne fonctionnaient plus. Sans se concerter, ils coururent chacun de leur côté, en faisant le tour de la pièce.
Le monstre parut hésiter un moment.
Les deux jeunes hommes profitèrent de ce court avantage pour rejoindre le centre de la chapelle, et gravirent un escalier, qui menait à un nouveau temple, identique à celui qu’ils avaient déjà identifié. Visiblement, le lion était trop gros pour pénétrer entre ses piliers, et cela leur laissait un peu de temps.
— Essayons de trouver quelque chose ici, proposa Serge, en explorant leur refuge.
Sur un des piliers, il découvrirent une sorte de boîtier clos, muni d’une serrure. Trois mots étaient inscrits sur la porte, « Save », « Load » et « Escape ».
— Nous devons à tout prix ouvrir ce panneau, dit Serge.
Un rugissement confirma ses propos, le lion attaquait à nouveau, en se jetant sur les piliers du temple qui vacillait.
— Regardez Serge, il a une clé autour du cou, les autres lions avaient peut-être la même. Occupez-le avec votre revolver, je vais voir.

Serge tira sur le lion, visiblement sans succès. Pendant ce temps, Matthieu redescendit et courut vers le cadavre du lion le plus proche, il avait aussi une clé que le jeune homme saisit prestement. De retour vers le temple, il se trouva nez à nez avec le dernier monstre, qui, d’une chiquenaude, l’envoya voler sur un des piliers.
— Matthieu, entre vite ou il va te dévorer ! cria Serge, en l’empoignant par le tee-shirt, sans cesser de tirer. Tu es mal en point, tiens prends une pilule bleue.
Le jeune homme avala la pilule et se sentit brusquement revivre. Prestement, il ouvrit le boîtier et présenta la diode de son pistolet laser devant un témoin lumineux, sur lequel était inscrit « Load ». Son pistolet fonctionna aussitôt, en émettant un Bip sonore.
— Venez vite charger votre laser, Serge, je m’occupe de cette créature du diable, cria Matthieu, en tirant sur le lion qui s’écroula, littéralement coupé en deux.
— Nous devons actionner « Save » avant toute chose, dit Serge. Au moins, nous ne nous retrouverons pas dans une cellule, mais ici, si nous avons un problème… Je dois tout d’abord trouver de l’or, et récupérer une clé, si nous étions séparés, ajouta-t-il.
Il s’exécuta, en sondant les murs.
Très vite, un passage s’ouvrit et un nouveau lion en sortit. Serge l’abattit froidement, pénétra dans la pièce et rejoignit Matthieu, avec quatre sacs emplis de pièces en or, sur lesquelles étaient gravées les mêmes initiales. Il en tendit deux à Matthieu.
— Maintenant, allons-y ! dit-il en actionnant l’interrupteur.
Ils ressentirent comme une grande décharge électrique, puis plus rien. Serge prit la main de Matthieu et appuya sur « Escape ». Un immense éclair rouge les enveloppa, et ils se retrouvèrent à l’intérieur du temple de la salle ronde, médusés. La salle était à nouveau remplie de chiens violets, qui les attaquèrent aussitôt. Ils les éliminèrent tous, vidant leurs pistolets laser.
— Plus moyen de recharger les laser ici, et je n’ai pas envie de refaire le labyrinthe. À dieu va ! constata Serge, en actionnant le commutateur rouge, situé sur le piédestal central.

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3


Carole Tréson sourit en regardant la pendule de la cuisine. Il était presque onze heures, et Matthieu n’avait toujours pas bougé. Lorsque Gilles Boris avait quitté la maison, la veille, il leur avait dit que leur garçon s’était endormi.
— Douze heures de sommeil cela suffit. Il va prendre son petit déjeuner à midi, si cela continue. Je vais le réveiller.
Elle ouvrit doucement la porte de la chambre de son fils.
— Il s’est couché en laissant son ordinateur allumé, constata-t-elle, en se dirigeant vers la porte-fenêtre pour ouvrir les rideaux.
— C’est l’heure de se lever, jeune homme, dit-elle en se retournant.
Soudain, elle se figea. Matthieu n’était pas dans son lit, et celui-ci n’était même pas défait ! Affolée, elle appela le bureau de son mari.
— Je voudrais parler à Pierre Tréson, de la part de son épouse.
Elle l’obtint aussitôt et lui expliqua sa découverte, d’une voix chargée d’angoisse.
— J’appelle Francis tout de suite. Ne t’inquiète pas, la rassura Pierre.
Il raccrocha, et composa le numéro de son ami Francis Pugeol, qui était détective privé.
— Francis ? Nous avons un sérieux problème, notre fils Matthieu a disparu. Il n’a même pas couché dans son lit.
— Vous vous êtes disputés hier ? C’est peut-être une fugue. Quel âge a-t-il au juste ?
— Il a seize ans. Son ordinateur est resté allumé toute la nuit. Il ne s’agit pas d’une fugue, Matthieu n’aurait aucune raison… répondit Pierre.
— J’arrive. Nous nous retrouvons chez toi dans une demi-heure. Ne t’inquiète pas, ce n’est sûrement pas grave, le rassura Francis.
À l’heure dite, le détective sonna au portail des Tréson et Carole vint ouvrir. Au même instant, son mari arrivait.
— Bonjour Monsieur Pugeol. Merci d’être venu si vite, je suis folle d’inquiétude.
— Montrez-moi sa chambre, dit le détective.
Ils l’entraînèrent vers la chambre de Matthieu. Effectivement le lit n’avait pas été défait, la porte-fenêtre était entrouverte et l’ordinateur ronronnait. Un économiseur d’écran, représentant des vaisseaux spatiaux, diffusait ses images animées. Le détective actionna la souris, faisant disparaître l’image, il n’y avait rien sur le bureau de l’ordinateur. En expert, le détective fit redémarrer la machine, observant les icônes qui s’alignaient en bas de l’écran.
— Il y a un paquet d’inits comme dans le mien, j’ai exactement le même. En revanche, je ne connais pas celle-ci, constata-t-il en montrant une icône qui représentait une tête de costaud blond, un pistolet futuriste à la main. Vous lui avez acheté des jeux en plus ?
— Non, l’ordinateur en contient suffisamment sur le disque dur, répondit Pierre.
— Nous allons essayer de trouver à quoi correspond cette icône, reprit le détective en ouvrant le dossier système, puis les préférences.
— Voilà ! ajouta-t-il, en activant une icône semblable à celle qu’ils avaient déjà vue. Elle s’appelait « Préférences Piège virtuel… ».
Il chercha parmi les logiciels, et cliqua sur une icône identique. Le disque se mit à tourner et un jeu s’ouvrit :
« Piège virtuel. Conception Serges Alès. Juin 1997… ».
— Trop récent pour être commercialisé. Je vais lire les informations.
Francis Pugeol appuya sur une touche et un tableau apparut, à gauche de l’écran : « Piège virtuel. Créé le 2 juin 1997 à 9 heures 30 par Serges Alès. Dernière modification le 25 juin 1997 à 8 heures… ».
— C’était avant hier ! s’étonna Pierre.

— Maintenant, vous allez me relater la journée d’hier, sans omettre aucun détail, même anodin, reprit Francis, en sortant de la chambre. Récapitulons ! Matthieu dispose d’un ordinateur bourré de logiciels, par nous ne savons quel miracle, il a un jeu supplémentaire, non commercialisé, qui a bizarrement été modifié l’avant-veille.
— Un informaticien, Gilles Boris, a amené un CD-Rom hier soir à Matthieu, pour qu’il le teste, confirma Carole.
— Tout cela ne nous mène pas loin, constata Pierre.
— C’est peut-être la clé de l’énigme, c’est Gilles Boris qui a vu votre fils en dernier. Je pense que je vais aller lui rendre visite, d’ailleurs ce nom me dit quelque chose. Je vous rappelle dès que j’ai du nouveau, conclut Francis en prenant congé.
— Tu penses qu’il a une piste ? demanda Carole à son époux, d’une toute petite voix.
— C’est le meilleur détective que je connaisse. Et si la disparition de Matthieu est liée à ce logiciel inconnu, il trouvera la réponse, j’en suis certain. Laissons-le faire son travail et faisons-lui confiance, lui répondit Pierre en l’entourant d’un bras protecteur.
La jeune femme se blottit sur son épaule, en soupirant.

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4


La rivière sans retour

Lorsque Serges Alès actionna le boutonrouge, le sol sembla s’écrouler sous leurs pieds, et ils se trouvèrent entraînés dans une sorte de toboggan, glissant à toute vitesse, sans pouvoir s’arrêter. À l’issue de leur chute, qui parut très longue à Matthieu, il tombèrent sur un monticule de sable orangé. En se retournant, le jeune homme vit une plaque métallique obstruer l’ouverture, il releva la tête et aperçut une fenêtre, située vingt mètres plus haut. Il en conclut que le toboggan avait dû les amener sous l’extrémité du premier couloir. Matthieu regarda autour de lui, la chaleur était épouvantable et le paysage sinistre. Au pied du monticule, une rivière rouge, hérissée de rochers sombres, s’enfonçait vers de profondes gorges dans un bruit de cascade. Sur la berge, il découvrit un impressionnant bateau de rafting. Serge y était déjà, et discutait avec un petit homme vert, bizarre, qui ressemblait à un gnome.
Il lui tendit un des sacs d’or et fit signe à Matthieu.
— Cette créature va nous conduire au bout de ce torrent, il affirme que la sortie est par là. Nous devons néanmoins nous en méfier, la dernière fois, je n’avais pas d’or et j’ai voulu m’emparer du bateau par la force. Il m’a renvoyé dans ma cellule, d’un seul coup de poing.
Ils prirent place à l’avant du bateau, qui s’engouffra dans le torrent en gémissant sous les coups de butoir des rochers. En quelques secondes, ils furent trempés de la tête aux pieds. Le gnome connaissait bien la rivière et se déjouait des pièges, avec une facilité déconcertante.
Matthieu était subjugué par une telle force, dans un si petit corps.
Un grondement leur fit comprendre qu’ils approchaient d’une chute d’eau, à cet instant le gnome se redressa en ricanant, et plongea dans le torrent. Serge saisit son pistolet, et le toucha en plein plongeon. Une fumée pestilentielle se dégagea à la place du cadavre, qui disparut comme par magie.
— Quelle horreur ! dit Serge, en récupérant le sac d’or oublié par le gnome.
— Nous approchons de la cascade, cria Matthieu. Il faut faire quelque chose !
Ils saisirent la barre et, gonflant leurs muscles puissants, ils tentèrent de dévier le bateau, sans succès. En hurlant, ils furent projetés dans la cascade, qui devait faire une centaine de mètres de hauteur, et s’écrasèrent sur des rochers… Ils se retrouvèrent, à nouveau, dans le temple des lions et rechargèrent leurs pistolets laser, qu’ils avaient tous deux miraculeusement conservés. Ils appuyèrent sur « Save », puis sur « Escape », pour se téléporter. À l’intérieur du temple grec, ils tuèrent les chiens violets et se concertèrent avant d’actionner le bouton rouge.
— Dès que j’aurai payé le gnome, je prendrai place dans le bateau en premier. J’ai remarqué qu’il avait d’abord jeté le sac d’or à l’intérieur, puis nous avait fait monter. Ensuite il s’est penché, debout sur le bord du bateau, pour retirer l’amarre, précisa Serge.
Puis il poursuivit :
— À ce moment précis, tu l’abattras, pour qu’il tombe dans le torrent, et nous essayerons de lutter contre le courant, pour éviter la chute d’eau.
Matthieu acquiesça, sans mot dire et appuya sur le bouton rouge, ils s’engouffrèrent à nouveau dans le toboggan. Comme prévu, le gnome vert les attendait sur la berge, Serge le paya et Matthieu l’exécuta aussitôt. Ils prirent la barre et le bateau se précipita dans le torrent. Bandant leurs muscles, ils essayèrent de contrôler le courant de plus en plus rapide, en évitant au mieux d’inquiétants rochers, qui émergeaient au ras de la surface. Alors qu’ils passaient dans une gorge escarpée, une pluie de flèches les frôla.
— Les gnomes nous attaquent. Méfie-toi Matthieu, leurs flèches sont empoisonnées.
Ils se couchèrent au fond du bateau en ripostant.
Par chance, aucune flèche ne les atteignit. En sortant de la gorge, le torrent s’élargit. Sur la rive gauche, ils aperçurent un canot, identique au leur et rempli de gnomes verts, qui les prit aussitôt en chasse.
Serge saisit la barre et Matthieu tira sur leurs poursuivants.
— Nous devons tenir jusqu’à la cascade, essaye de les tenir en respect.
Matthieu, trempé et violemment secoué, faisait de son mieux pour viser, tout en évitant les flèches empoisonnées. Il réussit à toucher le barreur, qui disparut dans le torrent. Le bateau se mit alors à tourner comme une toupie, mais un nouveau gnome prit la barre et redressa, tant bien que mal, l’embarcation. Cinq d’entre eux furent éjectés. Lorsque les jeunes gens entendirent les grondements de la cascade, Matthieu abandonna son poste et se précipita pour aider Serge, ils poussèrent la barre à fond vers l’autre rive. Le bateau se cabra et rebondit sur les rochers, puis dans un dernier saut, il atterrit, en laissant une profonde empreinte sur la berge. Leurs poursuivants n’eurent pas le temps de réagir et disparurent dans la cascade, en poussant des hurlements de terreur.
Matthieu et Serge étaient momentanément sauvés, car un rugissement leur annonça qu’un nouveau monstre approchait. Ils saisirent leur pistolet laser, guettant les fourrés. C’était une bête énorme, qui ressemblait à un gorille jaune avec une tête de buffle, il arrachait les arbres sur son passage. Serge et Matthieu firent feu en même temps et le mutant s’écroula, laissant tomber un petit ordinateur portable.
— Étrange, dans les pattes d’une telle bête, s’étonna Matthieu en saisissant l’appareil.
— Venez voir Serge, c’est inespéré ! Cet ordinateur a le plan du labyrinthe en mémoire, ajouta-t-il en le tendant à son compagnon, qui s’en empara, très pâle.
— C’est bien ce que je pensais… Nous approchons du « Temple maudit ». Dieu merci, le labyrinthe infernal est vide.
— Le temple maudit, dites-vous ? Comment savez-vous cela ? s’étonna Matthieu.
— Ce portable contient vraisemblablement tout ce que nous aurons à affronter, mais je ne peux ouvrir que ce que nous avons visité et l’endroit où nous sommes, répondit Serge en lui montrant l’écran.
Le jeune homme reconnut la rivière et la chute d’eau, marquée par une tête de mort. La berge s’arrêtait à l’endroit où ils se trouvaient, dévoilant seulement une partie de la jungle environnante.
— On dirait un jeu vidéo ! s’étonna le jeune homme, soudain inquiet.

— Oui. Mais la seule différence c’est que nous en sommes les acteurs, et c’est beaucoup moins drôle.
— Vous pensez que Gilles Boris aurait pu…
— Cela me paraît tellement invraisemblable que je préfère ne pas y penser, répondit Serge, en plaçant l’ordinateur dans son sac à dos.
Ils s’enfoncèrent dans une jungle orange et jaune qui sentait la mort, ils n’avaient pas d’autre issue. Ils progressaient doucement, se frayant un passage avec leur couteau. Soudain, un reflet métallique attira leur attention.
— Regardez, Serge. On dirait un avion.
Il s’approchèrent de la carcasse de l’appareil. Les lianes ne l’avaient pas encore recouvert, et ils en déduisirent qu’il s’était écrasé récemment. Serge s’approcha du poste de pilotage et recula brusquement en pâlissant, Matthieu le rejoignit, intrigué.
— Qu’avez-vous découvert ?
Son compagnon, sans mot dire, lui indiqua deux corps sans vie. Effectivement, les passagers n’était pas morts depuis très longtemps, il s’agissait d’un homme et d’une femme d’une quarantaine d’années.
— Mon dieu ! murmura le jeune homme.
Ils fouillèrent l’avion, il était rempli de bocaux étiquetés, qui contenaient des pousses fraîches. Du matériel de jardinage reposait, en vrac, au fond de l’habitacle.
— Ces inconnus devaient faire des recherches botaniques et ne se méfiaient pas, il n’y a aucune arme à l’intérieur de cet avion, constata Serge.
Un bruissement proche stoppa leur conversation, quelque chose s’approchait en rampant, semblait-il. Il s’engagèrent à nouveau dans la jungle, en retenant leur souffle. La chose les suivait mais ils ne se retournèrent pas. Soudain, ils sentirent que leur poursuivant accélérait l’allure, et lui firent face en même temps.
Un gigantesque boa à tête de dragon se redressa brusquement, en crachant un jet de flammes qui, heureusement, ne les toucha pas. Ils tirèrent ensemble et la bête disparut.
— Je ne pense pas qu’il soit mort. Courons ! cria Serge.
Ils accélérèrent l’allure. Au loin, un temple hindou en ruines apparut, ils se précipitèrent vers lui et stoppèrent brutalement.
Un large fossé, qui devait faire quatre mètres de large, protégeait l’édifice. Au fond de la fosse, Matthieu distingua des alligators jaunes, qui grouillaient dans un liquide verdâtre.
— Nous devons pourtant traverser. Nous sommes peut-être capables de sauter quatre mètres, proposa-t-il. Essayons sur la berge !
Il posa une souche à terre, fit quatre grands pas, et en déposa une autre. Puis il prit du recul, s’élança et sauta.
— Possible, mais tout juste, constata-t-il.
Le bruissement se rapprochait à nouveau.
— De toute façon, nous n’avons pas le choix, lui répondit Serge en courant vers le temple hindou.
Il réussit à sauter sans problème et le jeune homme se lança à sa suite. De l’autre côté du fossé il toucha le sol, qui se déroba sous ses pieds. Il se sentit glisser, mais une poigne de fer le souleva et son compagnon le hissa sur le rebord.
— Si tu me connaissais dans mon état normal, j’aurais été bien incapable de te soulever, même avec ton poids habituel, rit Serge, fier de sa performance.
Le boa-dragon était resté de l’autre côté, sifflant de rage. Il cracha une gerbe de flammes et les deux hommes se jetèrent à terre, sentant l’herbe roussir à moins d’un mètre. Puis l’animal se dressa, à six mètres de hauteur, et s’abattit de l’autre côté du fossé. Sa tête était tout près de Matthieu. Il essaya de ramper pour traverser, mais le corps ne suivit pas et il tomba dans le vide, aussitôt happé par une centaine d’alligators. Les deux jeunes hommes n’avaient jamais vu un pareil spectacle.
Une rafale de mitraillette les rappela à l’ordre. Cinquante hommes, en uniforme vert, venaient d’apparaître sur l’autre berge et tiraient dans leur direction.
— Vite, Au temple ! Nous devrions trouver une sauvegarde, hurla Serge.
Ils se ruèrent vers les marches, envahies par des lianes oranges. Le temple hindou semblait vide. Au centre, il y avait à nouveau un piédestal à colonnes et un boîtier à serrure. Matthieu essaya sa clé, elle fonctionnait, ils rechargèrent leur laser et appuyèrent sur « Save ». À nouveau une décharge électrique, ils avaient l’habitude maintenant.

Des cris, de l’autre côté du fossé, leur firent comprendre que leurs poursuivants s’organisaient ; ils avaient abattu des arbres et improvisaient un pont de fortune. Serge et Matthieu ajustèrent leur tir.
— Nous allons attendre que le plus grand nombre d’entre eux s’engage sur les troncs, pour tirer. Les alligators les finiront.
Trente hommes tombèrent sous le feu des pistolets laser et les autres servirent de repas aux alligators. Serge consulta alors le petit ordinateur.
— Le temple paraît étrangement vide et il regorge de pièces secrètes, nous allons les visiter, mais restons sur nos gardes.
Se fiant au plan, ils s’approchèrent du premier passage, le doigt crispé sur la gâchette de leur pistolet laser. En coupant avec son couteau les lianes qui cachaient la muraille, Matthieu découvrit une nouvelle sculpture à initiales et la poussa, déclenchant l’ouverture d’un sombre couloir.

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5


Francis Pugeol avait une idée qui encombrait son esprit, et à laquelle il refusait de croire.
— Tu as lu trop de science-fictions, mon pote. Reviens sur terre.
Pourtant l’idée restait là, omniprésente.
Il décida de commencer son enquête en rendant visite au créateur du jeu. De retour à son bureau, il rejoignit son ordinateur et cliqua sur l’alias du minitel. Le logiciel s’ouvrit aussitôt. Il sélectionna le 3611, puis il imprima l’adresse et le téléphone de Serge Alès. Il composa le numéro, et laissa sonner jusqu’au déclenchement du répondeur.
— Absent, je vais devoir lui rendre visite.
Il ouvrit un tiroir et en sortit un petit revolver, dont il vérifia le chargeur, puis il rejoignit sa voiture. Quinze minutes plus tard, il stationnait devant la propriété de Serge Alès.
— Visiblement, l’informatique rapporte plus que mes enquêtes.
La propriété était superbe, il s’agissait d’un petit manoir du XVIIème siècle, parfaitement restauré. Francis s’approcha de la grille et vérifia la serrure.
— Électrique, j’en fais mon affaire.
Il pénétra dans le parc, au volant de son véhicule. Il n’y avait pas âme qui vive et, étrangement, le rez-de-chaussée du manoir était éclairé.
— À treize heures, le moins que l’on puisse dire c’est que c’est étonnant.
Le détective se gara devant le perron et pénétra dans le manoir, sans effraction, la porte était ouverte.
Il appela, sans obtenir la moindre réponse, et entreprit de visiter toutes les pièces. Dans le salon, une bouteille de champagne entamée et deux flûtes étaient posées sur une table basse, un cigare à moitié consumé reposait dans un cendrier ancien. Francis bougea la bouteille…
— Pas l’ombre d’une bulle, il est éventé, et le cigare s’est éteint tout seul.
Il fouilla dans un des placards de la cuisine, récupéra un torchon et un panier, puis il enveloppa avec précaution les flûtes et les posa dans le panier avec la bouteille. À l’étage, il constata qu’aucun lit n’était défait. En redescendant l’escalier central, un faible son de ventilateur attira son attention. Il se dirigea vers le bruit et pénétra dans un bureau climatisé, où cinq puissants ordinateurs étaient allumés. Le climatiseur ronronnait en accord. Il s’approcha du premier et l’explora, il n’eut aucune peine à trouver le jeu qu’il cherchait et ouvrit les informations : « Piège virtuel. Créé le 2 juin 1997 à 9 heures 30 par Serges Alès. Modifié le 24 juin 1997 à 22 heures 56… ».
— J’avance, j’avance. Cela commence à prendre forme, se félicita le détective. Voyons à quoi ressemble ce jeu…
Francis fit un double clic sur l’icône et regarda le jeu s’ouvrir avec stupéfaction. Il paraissait réellement sensationnel, d’un réalisme inhabituel.
— Ce Serge Alès est vraiment très fort, c’est un concepteur de talent.
Il essaya de faire une partie, en appuyant sur la touche « Entrée ».
En vain, un message s’afficha aussitôt : « Une partie est déjà en cours. Voulez-vous la suivre ? »
Le détective cliqua sur « Oui ». Le disque dur se mit à tourner et un nouveau message apparut…: « Récapitulatif de la partie ».
Il vit un paysage fantastique et montagneux, le ciel était rouge et le soleil orange. Puis il se trouva dans une cellule verdâtre, à l’entrée il y avait deux cadavres. L’ordinateur l’entraîna dans un labyrinthe, jonché de dépouilles d’hommes en uniformes et d’animaux fantasmagoriques.
— Plutôt saignant comme jeu ! pensa le détective.
Il se trouvait dans une sorte de toboggan puis au-dessus d’un torrent rouge. Un bateau de rafting était échoué sur la berge, éventré.
Il traversa une jungle orange et, finalement, entra dans un temple hindou recouvert de lianes. C’est à ce moment qu’il les vit !

Deux silhouettes progressaient dans le temple, il s’agissait de deux costauds, armés jusqu’aux dents. Francis essaya de manipuler des touches pour les faire évoluer, le même message s’afficha : « Une partie est déjà en cours. Vous ne pouvez plus y participer. Voulez-vous la suivre ? ».
Il cliqua à nouveau sur « Oui » et regarda, fasciné.
— Bon. Tout cela est bien, mais ça ne fait pas avancer ton enquête. Allez au boulot.
Laissant l’ordinateur tourner, le détective sortit du manoir, en emportant le panier contenant la bouteille de champagne et les verres. Vingt minutes plus tard, il était au labo de la PJ.
— Jacky, peux-tu m’analyser ces empreintes et le contenu de cette bouteille ?
— Tu sais bien que je n’ai pas le droit, Francis.
— Allez ! Tu ne vas pas refuser cela à un ancien collègue, tu me rappelles sur mon téléphone portable dès que tu as les résultats. C’est une enquête importante, en toute confidentialité, je travaille pour Pierre Tréson.
— Pierre Tréson, … l’industriel ? s’inquiéta son ancien collègue.
— Lui-même, mon coco.
— D’accord, d’accord. Je t’appelle dès que j’ai les résultats.
Francis Pugeol quitta le labo en sifflotant. Il décida de rendre une petite visite à Gilles Boris, il avait le sentiment que l’informaticien devait détenir la clé du problème. Il reprit sa voiture et se dirigea vers la propriété de Gilles Boris, qui habitait à l’autre bout de la ville, dans un quartier résidentiel protégé. Heureusement, le détective connaissait le gardien. En revanche, entrer chez l’informaticien sans éveiller ses soupçons serait vraisemblablement une autre affaire.
— Je verrai bien sur place, pensa Francis Pugeol.

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6


Le temple maudit

Lorsque Matthieu ouvrit le premier passage, une épouvantable odeur de moisi les prit à la gorge. Alors, Serge sortit un masque, d’une des poches de son sac à dos. Matthieu n’en avait pas vu, jusqu’alors. Il vérifia le contenu de son propre sac et sortit un masque identique.
— J’ai fouillé ce sac auparavant, et je peux jurer qu’il n’y avait pas de masque à l’intérieur.
— N’oublie pas que nous avons changé de niveau, lui rétorqua simplement Serge.
— Changé de niveau ! Vous vous croyez dans un jeu vidéo ou quoi ? s’étonna Matthieu.
— En quelque sorte oui, je t’expliquerai plus tard. Mais d’abord, gardons le silence, je crains que l’ennemi ne soit invisible. Fie-toi à ton odorat.
— Mon odorat ? Mais cela sens le pourri partout !
L’odeur était omniprésente et, soudain, le jeune homme la sentit augmenter pire encore. Au même instant, un coup violent le plia en deux, et il se sentit vaciller. Serge tira deux fois avec son revolver, et l’odeur s’évanouit.
— Nous avons affaire à des spectres invisibles, encore cinq coups comme celui-ci et nous retournons à la sauvegarde. Mettons-nous dos à dos, pour éviter de nous entre-tuer, n’utilise pas le laser les murs s’écrouleraient. Prends ton revolver, et fie-toi à l’odeur.
Matthieu s’exécuta, il ferma les yeux et se concentra, tirant d’instinct.
Il fit feu douze fois, et l’odeur s’évanouit.
— Si je pouvais tenir le dingue qui a conçu ce piège, murmura Matthieu, ulcéré.
— C’est moi, lui répondit Serge. Mais, je ne l’avais pas prévu pour des êtres humains.
— Vous cherchez à m’expliquer qu’il s’agit d’un jeu vidéo que vous avez créé ?
— Tout à fait, et depuis le début. J’ai conçu « le Labyrinthe infernal » et « la Rivière sans retour » était le second niveau, nous l’avons réussi très facilement d’ailleurs. Maintenant, nous attaquons « le Temple maudit » et ce n’est pas une sinécure.
— Ce n’est pas croyable ! Nous ne sommes tout de même pas dans un jeu vidéo, c’est impossible.
— Cela ne semble en effet pas plausible, nous nous trouvons sans doute dans sa reconstitution, et encore… Comment expliquer les sauvegardes et nos résurrections ?
— J’en ai froid dans le dos, dites-moi que je rêve, s’exclama Matthieu.
Les deux compagnons s’engagèrent plus profondément dans le tunnel.
Serge consultait l’ordinateur, pour trouver les entrées secrètes. Ils récupérèrent ainsi des munitions, des sacs d’or, et bizarrement des poings de force .
— Étonnant ! Je peux jurer que je n’avais pas mis cela dans mon jeu.
À l’approche d’une salle, dont on pouvait apercevoir la luminosité blafarde, Serge retint Matthieu par le bras.
— Nous allons avoir besoin des pistolets laser, reste à côté de moi à l’entrée et fie-toi à nouveau à ton odorat. Si mes souvenirs sont bons, nous aurons affaire à forte partie et nous n’avons pas la possibilité de recharger, trois coups par spectre, pas plus.
Ils s’approchèrent lentement de la salle, elle était immense et abritait une sculpture de Shiva. L’attaque se déclencha aussitôt. Matthieu se fiait à son odorat et tirait deux fois, si l’odeur persistait il envoyait un nouveau jet laser.
Il essaya de compter, mentalement, pour évaluer le nombre d’adversaires ; il en estima cent vingt, avant de baisser son arme.


— Je crois que c’est fini pour cette fois, dit enfin Serge. Nous devons ouvrir toutes les portes, avant de rejoindre le temple central. Doucement, il y a des pièges.
Matthieu sonda les murs, cherchant une sculpture. Il en découvrit une, en écartant des lianes, et appuya pour déclencher l’ouverture. Un grondement sourd le fit plonger à terre, il se retourna et vit rouler un énorme bloc de pierre, à quelques centimètres de ses pieds. Au même instant, cinq autres portes s’ouvrirent, libérant des blocs identiques au premier. Ils roulèrent tous jusqu’au centre de la salle, percutèrent la statue, qui explosa en projetant des gravats aux pieds des deux jeunes hommes. Matthieu et Serge se relevèrent un peu sonnés, mais n’eurent pas le temps de commenter ce phénomène car un bruit strident s’éleva, provenant du trou provoqué par l’explosion. Ils saisirent leur pistolet laser, soudain attentifs à tout mouvement. Un monstre gigantesque fit irruption dans la salle, il s’agissait d’une espèce d’animal préhistorique volant, un énorme ptérodactyle. Les deux hommes firent feu, touchant les ailes, et la bête retourna d’où elle était venue, dans un bruit de ferraille. Les deux compagnons se regardèrent, étonnés, et s’approchèrent du vide avec précaution, ils y jetèrent un regard. L’engin s’était écrasé dans une pièce immense et fortement éclairée, remplie de gnomes verts, qui s’affairaient autour de l’épave en vociférant.
— Pourtant l’ordinateur n’indique aucune présence vivante, les gnomes faisaient partie du niveau précédent. J’étais d’ailleurs étonné d’en avoir vu si peu, ils auraient dû nous attaquer, lorsque nous avons accosté, avec leurs sarbacanes à flèches empoisonnées. Le ptérodactyle n’a rien à faire là non plus, il n’y en a que dans le dernier niveau, s’étonna Serge.
— Nous devrions nous méfier. Ils ont peut-être toujours des flèches, répondit Matthieu, inquiet. Je n’ai pas envie de retourner à la sauvegarde précédente.
Serge reprit, se parlant à lui-même :
— Le plus ennuyeux, c’est que les gnomes ont investi la salle de sauvegarde et de recharge, ils sont nombreux et nos pistolets laser n’ont presque plus d’énergie.
— Réfléchissons ! proposa Matthieu. Nous n’avons pas encore visité toutes les salles et il y a peut-être un moyen de les surprendre. Qu’aviez-vous envisagé pour vous en débarrasser, dans la Rivière sans retour ?
Serge se concentra un moment.
— Si mes souvenirs sont exacts, après avoir accosté il fallait passer sur un pont de lianes, poursuivi par les gnomes. Arrivé à l’extrémité du pont, un levier le basculait et les gnomes étaient précipités dans le torrent.
— Eh bien, procédons de même, cette salle est couverte de lianes, détachons-en deux et assurons-nous qu’elles sont bien arrimées au plafond. Ensuite nous attirerons les gnomes ici et nous utiliserons les lianes pour sauter au-dessus du vide… s’ils nous suivent, ils tomberont.
— D’accord, préparons les lianes, mais ensuite nous visiterons les salles inexplorées avant d’attirer les gnomes. Allons-y ! acquiesça Serge.
D’après l’ordinateur, il restait neuf salles à découvrir. Les deux hommes s’engagèrent prudemment dans le premier passage, une odeur infecte les prévint de la présence de spectres, Serge les abattit rapidement. Plus loin, ils pénétrèrent dans une petite pièce, vide et silencieuse. Une porte se referma derrière eux et un bruit étrange, comme un frottement, se fit entendre juste au-dessus. Matthieu releva la tête et s’écria :
— Le plafond, il nous tombe dessus !
Serge consultait fiévreusement l’ordinateur. Soudain il se précipita sur le mur de droite, et le sonda fébrilement.
— Par ici ! hurla-t-il.
Un étroit passage venait de s’ouvrir, ils s’y précipitèrent alors que le plafond s’effondrait.
— C’est un cul-de-sac, constata Matthieu. Nous devons rebrousser chemin.
Un rugissement, provenant de la salle qu’ils venaient de quitter, les fit ralentir. Ils vérifièrent leurs pistolets laser qui étaient presque totalement déchargés.
— Nous n’avons pas le choix ! dit Serge à regret, en se dirigeant vers la sortie du passage.
Un lion orange les attendait, il avait une nouvelle clé autour du cou.
Serge tira le premier, en épuisant sa réserve d’énergie ; le monstre chancela, mais il n’était pas mort. Matthieu tira ensuite, puis son pistolet laser devenu inutile, il prit son revolver, en visant les yeux de la bête. Elle s’écroula enfin, et le jeune homme s’empara de la clé. La salle était maintenant à ciel ouvert. Ils relevèrent la tête, au-dessus d’eux il y avait une centaine de gnomes, armés de sarbacanes. Les deux compagnons s’engouffrèrent dans le passage emprunté par le lion, sous une pluie de flèches.
— Je suis touché ! balbutia soudain Matthieu, en s’écroulant.
Le poison faisait déjà son effet, et Serge dut lui maintenir la bouche ouverte à l’aide du manche de son couteau, pour lui glisser une pilule. Le jeune homme se redressa aussitôt.
— Tu l’as échappé belle, lui dit Serge. Tu te voyais reprendre les souterrains sans pistolet laser ?
Il repartirent très vite, pressentant que les gnomes les poursuivaient. Serge consultait fiévreusement l’ordinateur.
— Il y a un passage sur notre gauche, qui mène directement à la salle aux lianes.
Ils s’y précipitèrent. Matthieu n’avait pas entendu la porte se refermer derrière eux, et en conclut que les gnomes étaient tout près.
— Accélérons ! Ils sont juste derrière nous.
Ils approchaient de la salle, et les lianes qu’ils avaient préparées pendaient devant eux. Ils les saisirent, et survolèrent la brèche créée par les boules de pierres. Les gnomes se ruèrent à leur poursuite, sans voir le trou béant. Les premiers essayèrent de s’arrêter en découvrant le piège, mais les autres arrivaient derrière en vociférant. Ils étaient tellement nombreux, que l’effet de masse les entraîna presque tous dans le vide. Il en restait une dizaine, qui dressèrent leurs sarbacanes en hurlant de rage. Heureusement pour Matthieu et Serge, ils étaient essoufflés et eurent du mal à ajuster leur tir. Les deux jeunes hommes n’eurent aucune peine à les achever, avec leurs simples revolvers. Puis ils se laissèrent glisser dans le trou jonché de cadavres, qui dégageaient une odeur pestilentielle.
Un boîtier était visible au centre de la salle, sous un temple à demi écroulé.
IIls purent néanmoins l’ouvrir, recharger leurs armes et l’ordinateur, puis ils se sauvegardèrent.
— Il nous reste à découvrir les dernières salles, et au besoin nous ferons une nouvelle charge et une nouvelle sauvegarde avant de quitter le temple.
Il ne restait plus que six salles à visiter et ils le firent à un train d’enfer, pressés de quitter ces lieux. Dans les cinq premières, il n’y avait heureusement plus âme qui vive, et ils récupérèrent des munitions et des pièces d’or. En approchant de la sixième salle, un chant guttural les fit ralentir.

Ils vérifièrent le fonctionnement de leur pistolet laser et se glissèrent, en rampant, vers une ouverture qui surplombait la pièce.
Au centre de la salle, ils découvrirent un autel sur lequel une jeune fille, entièrement nue, était attachée. Une vingtaine de mutants satyres tournaient autour d’elle, en psalmodiant. Les deux jeunes hommes étaient les spectateurs involontaires d’un sordide sacrifice rituel. L’un des mutants s’approcha de la jeune fille, alors que le rythme du chant s’accélérait frénétiquement. Comme il brandissait un long poignard effilé au dessus de sa victime, Serge leva son pistolet laser et l’abattit. Les mutants se retournèrent vers leurs agresseurs en hurlant, et crachèrent des boules de feu dans leur direction. Les deux jeunes hommes se jetèrent à terre et ripostèrent, en tirant comme des forcenés. Un silence de mort fit suite à ce carnage et, sautant de leur cachette, ils s’approchèrent doucement de la jeune fille, qui était évanouie, en retenant leur souffle. C’était une eurasienne, d’une beauté fascinante et virginale, ses longs cheveux noirs faisaient ressortir la finesse de son visage juvénile, son long corps svelte à la peau dorée était parfait, et ses seins menus se soulevaient régulièrement, au rythme de sa respiration.
Alors que Serge coupait ses liens de la pointe de son couteau, Matthieu retira prestement son tee-shirt, puis il souleva la jeune fille, toujours inconsciente et le lui enfila maladroitement. C’était la première fois qu’il tenait une fille dans ses bras, et il ressentit une émotion inconnue en l’habillant. Serge prit une pilule bleue et, en écartant doucement les lèvres de la jeune fille, il lui glissa dans la bouche. Une seconde plus tard elle se ranima, et poussa un hurlement de terreur à la vue des deux jeunes hommes, puissamment armés.
— N’ayez crainte, mademoiselle, vous êtes sauvée, la rassura Serge.
— Qui… qui êtes-vous ? demanda-t-elle, en tirant vainement sur le tee-shirt trop court, qui dévoilait ses longues jambes fines.
— Je m’appelle Serge, et mon compagnon se prénomme Matthieu. Nous sommes arrivés juste à temps, pour vous libérer de ces immondes créatures, qui s’apprêtaient à vous sacrifier. Mais dites-nous, d’où venez-vous… ?
La jeune fille les regarda, en ouvrant deux grands yeux violets, et Matthieu sentit son cœur battre à tout rompre.
— Je m’appelle Yasmina, et je vous remercie de m’avoir sauvée de ces terrifiants mutants.
— Ne nous remerciez pas, nous étions là au bon moment, c’est tout, balbutia Matthieu en rougissant.
— Mes parents étaient botanistes, reprit la jeune fille. Ils avaient conçu un avion, capable de voler en stationnaire au-dessus de la jungle, et récupéraient ainsi des échantillons à la cime des arbres. Nous restions à quarante mètres du sol, car il est impossible de progresser à l’intérieur de la jungle, elle est infestée de gnomes et de mutants. Pourtant, les études de mes parents restaient indispensables pour créer de nouvelles espèces, notre planète manque cruellement d’oxygène… Alors que nous nous posions au-dessus d’un baobab orange, de monstrueux oiseaux nous ont attaqués.
— Des ptérodactyles… ? l’interrompit Serge.
— Oui, c’est cela, mais ils disposaient de puissants jets laser, et nous ont touchés en un seul tir. Notre avion s’est écrasé dans la jungle, et j’ai perdu conscience. Lorsque je me suis réveillée, j’ai constaté avec effroi que mes parents étaient morts. Je m’apprêtais à sortir du poste de pilotage, quand des gnomes verts sont apparus. Ils m’ont ligotée, et m’ont portée jusqu’au temple hindou, pour me livrer aux mutants satyres. Ensuite je me suis évanouie, ajouta la belle Yasmina, en s’écroulant en larmes.
Matthieu se précipita vers elle et la soutint.
— N’ayez crainte, mademoiselle, nous sommes là maintenant, et nous vous protégerons. Nous avons effectivement découvert l’avion de vos parents, et il n’y a malheureusement plus rien à faire pour eux.
— Quittons vite cet endroit maudit, ordonna Serge.
Il vérifia sur l’ordinateur s’ils avaient bien fait le tour du temple et, à tout hasard, il essaya de chercher dans le disque dur s’il ne pouvait pas trouver la suite de l’aventure. Il n’alla pas très loin, malgré ses talents de programmeur, le logiciel était bien protégé.
Un message apparut, dès ses premières manipulations : « Ne soyez pas si pressés, mes amis. Votre aventure ne fait que commencer. J’espère que vous vous amusez bien… »

— Le salaud a tout prévu. Je ne sais pas comment Gilles Boris a réussi à nous propulser dans ce cauchemar, mais crois-moi, si nous en sortons vivants il s’en souviendra, tempêta Serge. Il ne nous reste plus qu’à continuer. S’il n’a rien modifié, nous avons encore un niveau, « Le Piège d’enfer », et je peux t’assurer qu’il n’est pas simple… Après l’avoir conçu, je n’ai jamais réussi à le finir sur l’ordinateur, j’envisageais d’ailleurs de le modifier, avant de le commercialiser. Quand Gilles écrit que nous n’en sommes qu’au début, j’avoue que je m’inquiète. Qu’a-t-il donc bien pu ajouter ? Il est incapable de programmer mon ordinateur, nous n’utilisons pas le même langage…
— Vous avouez enfin, nous sommes bien dans un jeu vidéo.
Matthieu regardait fixement son compagnon, exigeant une réponse.
— Je le regrette, mais je ne vois pas d’autre explication, admit Serge, en baissant la tête. Même si cela paraît incroyable… Un programme n’est qu’une suite de chiffres… Comment des êtres humains pourraient-ils en faire réellement partie ?
— Oublions cela pour l’instant, le rassura Matthieu, en lui posant amicalement la main sur l’épaule. Rejoignons la salle centrale pour sortir d’ici.
Yasmina les regardait avec attention, sans comprendre. Elle brûlait de les questionner, mais ses deux nouveaux compagnons, perdus dans leurs pensées, semblaient l’avoir soudainement oubliée. Elle les observa à la dérobée, ils étaient vraiment très musclés, le torse nu de Matthieu était réellement impressionnant, sculpté. Elle décida de reporter ses questions ultérieurement et de leur faire confiance, ils paraissaient tellement solides.
Les deux jeunes hommes se levèrent de l’autel, sur lequel ils s’étaient assis sans s’en rendre compte, et se rendirent au boîtier, pour vérifier la charge des pistolets laser et se sauvegarder à nouveau. La jeune fille les suivit, sans mot dire.
Alors Serge, saisit Yasmina et Matthieu par la main.
— Appuie sur « Escape » Matthieu.
Le jeune homme s’exécuta. Un puissant éclair bleu les enveloppa, et ils disparurent tous les trois du temple maudit.

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7


Gilles Boris était aux anges.
— Mon très cher ami Serge, tu pensais que j’étais incapable de programmer ton ordinateur et tu avais raison. Seulement, tu ne savais pas que j’avais d’autres cordes à mon arc. Je m’amuse comme un fou, en te voyant te débattre dans ta création, dont tu es si fier. Tu ne vas pas être déçu, tu n’es pas au bout de tes peines …
L’informaticien était assis dans un confortable fauteuil de cuir, un verre à la main. Il alluma un havane et le dégusta, avec une satisfaction évidente, en posant ses jambes sur le bureau et en se balançant doucement. Devant ses yeux, un grand écran, relié à un ordinateur portable, lui montrait le périple de Serge et de Matthieu. Les deux jeunes hommes étaient dans le temple hindou, poursuivis par les gnomes.
— Que penses-tu de cela, tu ne l’avais pas prévu ? Quel dommage ! … À propos, comment trouves-tu ton nouveau compagnon ? Je n’allais tout de même pas te laisser pourrir dans cette cellule sans arme, il fallait bien que quelqu’un vienne te délivrer. Alors, pour toi, je me suis déplacé chez le revendeur chercher un pigeon pour t’accompagner. J’espère que tu m’en remercieras… si vous vous en sortez, bien sûr !
Et il éclata de rire, en vidant son verre d’un trait, puis il pivota son fauteuil et consulta deux écrans, situés sur sa droite.


Des chiffres apparaissaient régulièrement sur chacun d’eux : « … 14-8, 15-7, 16-9 » et une courbe spectrographique bougeait, comme sous l’effet d’un tensiomètre.
— Mais vous êtes en pleine forme, mes chéris, méfiez-vous tout de même des hausses de tension, ce serait dommage de mourir si jeunes. Ne me dites pas que vous avez peur, allons, des costauds comme vous… Le prochain niveau est encore pire… allez, du courage !
En riant aux éclats, il se leva et sortit de la pièce.— À tout à l’heure, je vais déjeuner, j’espère que vous appréciez vos rations de survie.
Il sortit de sa maison et monta dans sa voiture, puis il se rendit dans un des meilleurs restaurants de la ville et s’offrit un repas copieux. Lorsqu’il rejoignit la résidence, il bippa le portail et traversa le parc jusque chez lui. Il habitait le plus somptueux domaine de la région, qui abritait vingt propriétés luxueuses, disposant d’un golf privé et d’un gardiennage jour et nuit. Il vivait seul dans sa maison, ne recevant jamais personne, même pas Serge Alès, qu’il allait toujours voir chez lui. Il descendit de voiture, et pénétra dans sa demeure. Sur le seuil il retint sa respiration, il était persuadé qu’il y avait une présence anormale. Sans bruit, il ouvrit le tiroir d’un guéridon de l’entrée et en sortit un revolver. Puis il se dirigea à pas de loup vers la salle informatique.

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8


La ville des combattants

Matthieu, Serge et leur nouvelle compagne se retrouvèrent en plein désert. Un sable orangé, fin et brûlant, volait autour d’eux. Ils fouillèrent dans leurs sacs et y trouvèrent des tenues berbères bleu indigo, Serge tendit la sienne à Yasmina, elle s’enveloppa dedans en remerciant et ils se mirent en marche, au hasard.
— Serge, là-bas, regardez ! Pensez-vous qu’il s’agit d’un mirage ?
Matthieu venait d’apercevoir le reflet d’une ville fortifiée, à l’horizon.
— Rejoignons-la, je ne sais pas du tout où nous sommes. S’il s’agit encore d’un jeu je ne l’ai pas conçu, répondit Serge.
— Je connais cet endroit, s’écria Yasmina. Il s’agit de « la ville des Combattants », je l’ai visitée l’année dernière avec mes parents.
Ce souvenir lui rappela leur récente disparition et elle se mit à pleurer silencieusement. À cet instant, une ombre gigantesque les enveloppa, ils levèrent la tête et reconnurent un énorme ptérodactyle en acier qui fondait sur eux.
— Cet oiseau, c’est pourtant vous qui l’avez inventé, protesta Matthieu.
— C’est exact, je ne comprends pas. Séparons-nous, rétorqua Serge, en empoignant son pistolet laser, dont il vérifia la charge.
Ils partirent chacun dans une direction opposée, visant les ailes du monstre, qui s’écroula presqu’aussitôt.
— Il en vient d’autres ! cria la jeune fille, terrorisée.
— Venez vite vous cacher sous les débris de celui que nous avons abattu, ils ne nous repéreront pas, conseilla Serge.
Deux ptérodactyles approchaient. Les deux jeunes hommes visèrent soigneusement chacun le leur, et les touchèrent en même temps. Les deux monstrueux oiseaux piquèrent du nez et explosèrent en percutant le sol.
— Pourquoi ont-ils explosé ? demanda Yasmina.
— Ce sont des engins mécaniques programmés pour tuer. Ils sont remplis de kérosène et possèdent des tirs laser terrifiants, c’est à cause d’eux que je n’ai jamais pu finir le Piège d’enfer. Gilles a dû oublier de joindre l’icône des munitions, en les glissant dans ce niveau.
— Tant mieux pour nous. Rejoignons la ville, maintenant, conseilla Matthieu.
Ils marchèrent une heure et se dirigèrent à grand pas vers un portail, qui devait être l’entrée principale. Il n’y avait pas âme qui vive… Ils arpentèrent les ruelles et découvrirent une auberge sordide, qui semblait ouverte.
— Nous allons peut-être manger autre chose que des rations de survie, dit Serge, en poussant la porte.
Une grande pièce sombre, aux poutres apparentes, leur faisait face. Elle était sale et vide, seul un gros homme rougeaud se tenait debout derrière le bar.
— Bienvenue étrangers, vous êtes courageux ou inconscients pour vous déplacer à l’heure de la sieste par cette chaleur. J’ai un délicieux couscous aujourd’hui, avec une pinte de rosé vous allez vous régaler.
— Avec plaisir, merci aubergiste, répondirent-ils en s’installant sur un banc, dans un coin de la salle, proche d’une cheminée où crépitaient des grillades.
— Vous êtes venus voir les combats ou bien y participer ? Costauds comme vous êtes, vous pourriez… Il y a moins de monde cette année, à cause des ptérodactyles.
Ils ne répondirent pas, pressés d’engloutir la nourriture. L’aubergiste n’insista pas et regagna son comptoir. La salle se remplissait de toutes sortes d’individus et de mutants, qui n’inspirèrent pas confiance aux jeunes gens. Les conversations étaient animées. Serge et Matthieu tendirent l’oreille, alors que Yasmina frissonnait, en reconnaissant des mutants satyres qui l’observaient, avec une envie non dissimulée. Il était question de combats, de champions et de paris.
Une violente discussion entre deux ivrognes dégénéra en bagarre, qui prit très vite de l’ampleur dans toute l’auberge. Serge et Matthieu, entraînant la jeune fille, en profitèrent pour s’éclipser, donnant des coups de poings au hasard, pour se frayer un passage.
Bien leur en prit, ils venaient d’atteindre le coin de la rue suivante lorsqu’une patrouille de police apparut, à grand renfort de sirènes.
— Charmant pays ! dit Matthieu. Nous devons pourtant trouver une nouvelle auberge.
— Je peux vous guider jusqu’à l’endroit où nous étions descendus avec mes parents. Je me souviens de l’adresse, c’était très confortable, proposa alors la jeune fille.
Elle prit une autre direction et il la suivirent, rassurés. Le quartier paraissait plus chic et plus calme. Ils repérèrent vite l’hôtel-restaurant, qui était très coquet. Une jolie jeune femme se tenait à l’accueil.
— Auriez-vous des chambres, s’il vous plaît mademoiselle ? demanda Serge.
— Il ne me reste plus qu’une suite à trois pièces d’or par jour, elle est très tranquille. Je suis dans l’obligation de vous demander une nuit d’avance. Dînerez-vous au restaurant ? Nous servons dans le jardin…
— Oui, merci mademoiselle, répondit Serge, en lui tendant trois pièces d’or. Nous ne savons pas combien de temps nous resterons… Par quel moyen pouvons-nous quitter cette ville ? Notre véhicule a rendu l’âme dans le désert, mentit-il.
— Il n’y a qu’une solution, acheter un avion à l’aéroport ; plus aucun pilote ne veut décoller, à cause des ptérodactyles. Les avions coûtent très cher, six mille pièces d’or, sans canon laser…
— Effectivement, c’est excessif… constata Serge.
— … Mais si vous participez aux combats, vous pouvez gagner mille pièces d’or à chaque victoire, en vous inscrivant en double, ajouta l’hôtesse.
— En quoi consistent ces combats ? demanda Matthieu, intrigué.
— Ce sont des combats à mort, et les gens traversent le désert tous les ans, pour voir les champions s’affronter. Malheureusement, durant trois jours, la ville n’est plus sûre. Vous avez choisi la seule auberge fréquentable, nous n’y acceptons que les meilleurs champions, mais vous m’inspirez confiance.
— Nous vous en remercions, et nous nous efforcerons de mériter cette confiance, reprit Serge. À propos, depuis quand êtes-vous menacés par les ptérodactyles ?


— Il y a sept jours, à la tombée de la nuit, il y en avait une trentaine qui survolaient la ville, c’était très angoissant. Oubliez-les, je vais vous montrer votre suite.
Puis, se tournant vers Yasmina, elle ajouta :
— Il me semble vous connaître, mademoiselle. N’êtes-vous pas déjà venue dans cette auberge ?
— C’est exact, nous sommes resté une semaine avec mes parents, l’année dernière, et j’en avais gardé un excellent souvenir, répondit la jeune fille.
En souriant à Yasmina, l’hôtesse les précéda et Serge pensa, en observant sa silhouette gracieuse, qu’il se serait bien vu dans les bras de la belle aubergiste. Il faillit le dire à Matthieu, mais se rappela que le jeune homme n’avait que seize ans et à cet âge là, seuls les jeux vidéo avaient de l’intérêt. Quoique…, depuis qu’ils avaient sauvé Yasmina des griffes des mutants satyres, il n’avait d’yeux que pour elle, et Serge sourit intérieurement. Il est vrai que leur nouvelle compagne était adorable.
La suite était confortable et donnait sur une piscine, qui fit envie aux jeunes gens. Ils n’avaient pas de maillot de bain et après une douche revigorante, ils décidèrent de sortir en acheter. La ville était plus animée et les boutiques nombreuses. Ils firent quelques achats, des produits de toilette, des maillots de bain, de nouveaux tee-shirts et Serge put s’offrir une boîte de cigares, il en rêvait depuis le début de son aventure. Yasmina accepta plusieurs tenues très féminines, un grand sac de voyage et du parfum en rosissant de plaisir. Ils ne restèrent pas longtemps dehors, une nouvelle bagarre se déclenchait sur la place centrale, et ils regagnèrent leur hôtel pour s’offrir un plongeon relaxant.
Le soir, ils discutèrent avec deux champions, qui dînaient à la table voisine.
— Méfiez-vous, si vous voulez participer aux combats, il s’agit d’une lutte à mort. La seule arme autorisée est le poing de force ; mais certains n’hésitent pas à utiliser des couteaux ou des revolvers, et les arbitres laissent faire…
— … En revanche, le public ne fait aucun cadeau à celui qui s’en sert le premier, leur confia un athlète roux qui devait les dépasser d’une tête, tout en allumant religieusement le cigare que Serge venait de lui offrir.
— Alors, un conseil, ayez une arme sur vous, mais ne l’utilisez qu’en cas d’agression, renchérit un asiatique tout menu, qui devait être très vif.

En souriant, leur premier interlocuteur ouvrit son blouson et leur montra un pistolet laser identique aux leurs.
— Si vous possédez ce genre d’engin, vous pouvez le recharger ici contre dix pièce d’or, c’est cher mais vital. Il est malheureusement impossible d’en acheter, c’est en principe interdit à la vente dans cette ville.
— Mais, ces combats ne sont-ils pas dangereux ? demanda Yasmina, d’une toute petite voix.
— Cela peut le devenir, mais jusqu’ici nous avons eu de la chance, lui répondit le géant roux en souriant.
La jeune fille répondit à son sourire, avec un regard mêlé de crainte et d’admiration.

En montant se coucher, Serge et Matthieu avaient pris leur décision, il allaient s’inscrire aux tournois. En fait, il leur manquait trois mille pièces d’or pour acheter un avion, il leur suffirait donc de gagner trois fois. Le lendemain au petit déjeuner, ils retrouvèrent les deux champions de la veille et leur demandèrent conseil pour s’inscrire.
— L’hôtesse nous a parlé de combats en double et cela nous a semblé plus intéressant. Qu’en pensez-vous ?
— Vous me paraissez costauds. Voulez-vous faire équipe avec nous ? En faisant un quadruple, nous doublons la mise, mille pièces d’or chacun par combat ; et l’avantage, c’est que vous ne participerez qu’aux deux derniers combats. C’est un privilège accordé aux anciens champions, et nous avons gagné l’année dernière. Cela laisse le temps d’apprécier l’adversaire. La prime finale est de vingt mille pièces d’or pour l’équipe gagnante, leur confia le géant.
— L’idée est séduisante, répondit Serge.

— Venez vous entraîner avec nous, cet après-midi, nous pourrons juger de vos capacités, renchérit l’asiatique. Je me nomme Sing Hian et mon ami Jimmy.
— Moi c’est Serge, et mon compagnon s’appelle Matthieu. Il n’a que seize ans, mais il est redoutable.
— Eh bien c’est d’accord, quinze heure ici, répondit Jimmy en leur serrant la main.
Il avait une poigne de fer.
À quatorze heure trente, les trois jeunes gens descendirent piquer une tête dans la piscine. Leurs deux nouveaux amis les rejoignirent vingt minutes plus tard.
— Parés pour l’entraînement ? Choisissez votre adversaire, de toute façon, nous permutons dans un quart d’heure, lança Jimmy en riant et en empoignant Serge.
En un tour de main, il le fit basculer par dessus son épaule et chuter lourdement, sur le sable du bain de soleil. Yasmina poussa un petit cri d’angoisse. Les pensionnaires de l’hôtel s’étaient approchés, et applaudirent sa performance. Serge n’avait pas du tout apprécié cet effet de surprise et Matthieu, qui commençait à le connaître, le ressentit à l’imperceptible crispation de mâchoire de son ami.
— Jimmy va en prendre plein la tête, au prochain tour, pensa-t-il.
Il n’eut pas le temps de le vérifier, car Sing Hian en poussant un cri strident se jeta sur lui, le pied droit levé. Le jeune homme évita le coup de justesse et, en un réflexe, saisit la jambe de son adversaire, se plia en flexion et se détendit, balançant l’asiatique dans la piscine. Les spectateurs applaudirent. Matthieu se retourna au moment où Jimmy bondissait sur lui, de tout son poids.
Il profita de cette énorme poussée, fit un roulé-boulé arrière et, détendant ses jambes, il envoya le géant rejoindre son ami. Une gerbe d’eau salua sa victoire. Serge se relevait tout juste de sa chute et avait une revanche à prendre. Il plongea à leur suite et saisit Jimmy en étranglement, au moment où il faisait surface, l’entraînant à nouveau au fond. Sing Hian qui venait de remonter se précipita au secours de Jimmy, et Serge fit alors une chose incroyable. Il se cabra en arrière, sans lâcher le cou du géant, et avec ses deux jambes croisées, saisit l’asiatique par le cou, en ciseaux. Puis, il fila au fond de la piscine.

Plusieurs minutes se passèrent, l’eau était transparente et Matthieu essayait de discerner si Serge respirait. Il se glissa dans la piscine et rejoignit le trio. Au fond, Serge lui sourit et lui fit un clin d’œil. Ses deux adversaires étaient visiblement en train de se noyer, et le jeune homme lui fit signe de relâcher prise. À regret Serge s’exécuta, ses deux victimes remontèrent comme des fusées. Matthieu les suivit, il était à bout de souffle. Ils attendirent une minute encore, avant de voir Serge réapparaitre. Jimmy et Sing Hian lui tendirent la main, pour sortir du bassin.
— Nous vous adoptons tous les deux, nous n’avons jamais été battu de la sorte. Nous ferons un équipe formidable, tous les quatre. Allons arroser cela au bar, j’ai bu assez d’eau, s’exclama Jimmy, en leur collant des bourrades à assommer un taureau.

Le grand jour du tournoi était arrivé, et une foule cosmopolite se pressait à l’entrée des arènes. Les quatre nouveaux amis avaient pris place dans les tribunes réservées aux participants, et ne perdaient pas une miette du spectacle. Yasmina avait préféré rester à l’hôtel, devant la piscine, ce climat de violence l’apeurait.
Jimmy et Sing Hian étaient capables de jauger le comportement d’un adversaire à sa seule démarche. Ils étaient tous deux professionnels de ce genre de combats, et n’avaient jamais été battus.
— De toute façon, s’ils avaient été battus ils seraient morts, pensa Mathieu.
— Je suis prêt à parier que nous aurons ces quatre mutants comme adversaires en finale, lui dit Sing Hian, en lui montrant des personnages bizarres.
Le premier devait mesurer deux mètres soixante, c’était un gorille à tête de buffle. Le second était un gnome vert, aussi large que haut. Le troisième, filiforme à l’aspect gluant, avait une tête de serpent et mesurait plus de trois mètres.
Le quatrième était un homme trapu, au regard étrangement fixe.
— Le quatrième n’est pas un mutant, s’étonna le jeune homme.
— Tu te trompes, c’est le pire. Il s’agit d’un spectre qui a pris forme humaine. Il est transparent, regarde !
Et Sing Hian saisit une canette de bière vide et la lança au travers de l’homme. Celui-ci ne fit pas un mouvement et Matthieu frissonna.
— Tu as déjà eu à faire à ce genre de mutants ? lui demanda Sing Hian.
— Oui, répondit le jeune homme. Mais j’utilisais mon pistolet laser.
— De toute façon, tu n’auras pas d’autre choix. Je vais t’expliquer comment te débarrasser de ce spectre, il est impossible à battre sans pistolet laser. Dès qu’il sera dans l’arène, il deviendra transparent. La foule hurlera de dépit mais toi, tu prendras des coups sans savoir d’où ils viennent, et l’odeur de cette charogne est plus diluée dehors. Au premier coup, plie-toi, sors discrètement ton pistolet laser et tire-toi dessus, ou plutôt juste au-dessus. Les spectateurs crieront à la tricherie, accusant le spectre, alors descends-le sans hésiter, en espérant qu’il sera encore en face de toi.
— Compte sur moi pour respirer à fond et capter son odeur. Trois coups de laser, je sais, quelle horreur !
— Moi, je prends le gorille à tête de buffle, nous faisons presque la même taille, et je pense qu’il sera moins rapide que moi, enchaîna Jimmy, en faisant rouler ses muscles puissants.
Sing Hian reprit la parole.
— Serge, je te conseille de t’occuper du gnome, en le précipitant dans le bassin central. Ils sont larges et forts mais n’ont aucune résistance en apnée. Moi, je me charge du serpent visqueux, c’est le plus terrible car il est insaisissable, seuls mes coups Ninjâ peuvent en venir à bout. Je compte sur l’un de vous pour le finir au laser, dès qu’il crachera du feu, car il peut le faire et c’est considéré comme une attaque illégale, ajouta-t-il.
Les quatre hommes se concentrèrent sur les combats. Ils remarquèrent que presque tous les participants utilisaient des armes, et restèrent sur leur gardes. Lorsque leur tour vint, ils eurent pour adversaires quatre brutes épaisses, qu’ils avaient pu observer. Les brutes avaient triché, durant toutes les rencontres, en utilisant des couteaux à cran d’arrêt, dissimulés sous leurs manches. Ils n’eurent aucune peine à les massacrer, connaissant leur piètre ruse.
Les mutants ne firent qu’une bouchée des autres finalistes, d’agiles acrobates, qui s’étaient contentés de glisser des grenades dans les poches de leur adversaires et de disparaître, avant l’explosion, en faisant des soleils. Ils ne purent résister aux mutants, beaucoup plus forts qu’eux et surtout sans poche, ils combattaient nus.

Le grand combat final allait avoir lieu, et la foule était debout sur les gradins de l’arène ; les billets qui volaient démontraient que les paris étaient élevés. Les deux dernières équipes étaient constituées des meilleurs champions, qui avaient prouvé leur force à maintes reprises, ce qui leur donnait le privilège de ne pas prendre part aux combats de présélections. Ils ne participaient qu’aux demi-finales et à la finale, s’ils avaient survécu.
Les adversaires se mirent en place dans l’arène, à environ quatre mètres d’intervalle, et tournèrent doucement, en s’observant.

Visiblement les mutants avaient eux aussi choisi leurs adversaires, le serpent visqueux regardait Matthieu fixement, le spectre tournait autour de Sing Hian, et le gnome s’était étrangement dirigé vers Jimmy.
Le géant roux leva le bras droit, en signe de concertation, et les deux équipes se regroupèrent aux deux extrémités de l’arène.
Sing Hian parla à voix basse.
— Matthieu, frappe-le serpent aux testicules, il crachera du feu, tue-le tout de suite. Dès que le spectre deviendra invisible, tire au-dessus de moi et j’espère que l’un de vous pourra l’abattre, je suis le seul à ne pas posséder de pistolet laser. Serge, le gorille est invincible, tu dois le descendre au laser, mais soit discret. Il disparaîtra en fumée.
Jimmy continua.
— J’occupe le gnome… Dès que tu auras tué le gorille, je l’envoie dans le bassin et tu plonges derrière lui pour l’achever…
— Ne t’inquiète pas Sing, nous ferons au mieux pour descendre le spectre, conclut Matthieu.
Un gong indiqua le début du combat, et les champions se précipitèrent. Les mutants étaient très malins car, au dernier moment, ils se dispersèrent et changèrent d’adversaire. Serge se trouva face au spectre, et lui envoya un coup à assommer un bœuf. Son poing ne fit que traverser le vide, alors qu’il ressentit un violent choc à l’estomac, qui l’envoya voler à plus de dix mètres. Puis le spectre devint transparent et la foule se dressa, en hurlant de rage. Serge employa la tactique prévue pour Matthieu, et se tira dessus discrètement, s’arrachant l’oreille gauche. Le sang jaillit, alors que les spectateurs criaient à la triche. Serge prit une pilule revigorante, puis sortit son pistolet et respira à fond, sans rien déceler. Le gorille à tête de buffle s’était jeté sur Sing Hian et se contentait de l’écraser. L’asiatique n’aurait pas l’occasion de prouver sa souplesse, et sans arme, il n’avait aucune chance. Serge le vit en mauvaise posture, il fit mine de chanceler sous un coup invisible, et tira droit sur le gorille, qui disparut dans un jet de fumée noire. Sing Hian se releva, en cherchant sa respiration, il s’envola soudain, comme poussé par une force invisible.
Serge tira trois fois, à l’endroit d’où avait décollé Sing.
Une volute de fumée rose, d’une odeur insupportable se dégagea. Le spectre était hors d’état de nuire.
Jimmy avait hérité du serpent, et ne savait pas par quel bout le prendre. Il lui glissait des mains, lui envoyant une violente décharge électrique à chaque fois qu’il le touchait.
— Frappe-le aux testicules pour lui faire cracher du feu, elle est bonne celle-là. Elles sont où les testicules sur ce genre de mutant ? Je ne vois rien moi.
Sing Hian lui montra, en portant un puissant coup de pied sur une partie du corps légèrement plus sombre. Le serpent perdit son souffle, et cracha une gerbe de flammes. Jimmy tira deux fois, le coupant en deux.
— Non, pas ça ! hurla Sing Hian.
Trop tard, il y avait maintenant deux serpents cracheurs de feu.
— Armes autorisées, clama l’arbitre dans les hauts-parleurs.
Les spectateurs s’étaient dressés, hurlant de joie et de terreur mêlées.
— Vise la tête ! conseilla Sing, en se précipitant pour aider Matthieu, aux prises avec le gnome.
La petite créature avait une force incroyable, ils se battaient maintenant dans le bassin. Sing plongea, libérant Matthieu, qui sortit et courut relayer Serge.
— Vas achever le gnome, je m’occupe des serpents.
Il activa son laser et, évitant les monstrueux jets de flammes, il tira. Un serpent s’écroula et se dédoubla aussitôt.
— Vise la tête de ces vers de terre, c’est l’unique moyen de les abattre sans qu’ils ne se dédoublent, lui cria Jimmy en le rejoignant.
Très difficile à faire, il fallait alors éviter le jet de flammes au tout dernier moment.
— Débarrassez-nous de ces monstres et nous doublons la prime, dit le responsable du tournoi dans le micro.
Il commençait à s’affoler, il y avait maintenant quatre serpents cracheurs de feu, et les deux hommes avaient du mal à les contrôler. Serge et Sing Hian étaient sortis du bassin et le gnome, mort noyé, s’était évaporé en fumée nauséabonde. Serge vint rejoindre ses amis, son pistolet laser à la main. Sing Hian ne savait que faire, démuni d’arme.
Alors l’organisateur du tournoi, de plus en plus inquiet, prit à nouveau la parole.
— Venez ici jeune asiatique, vous avez été particulièrement courageux. Le comité vous offre un pistolet laser en remerciement, allez aider vos amis.
Le jeune homme se précipita, ravi de l’aubaine. Il savait parfaitement où tirer, et évita les jets de flammes avec souplesse, bondissant à près de trois mètres de hauteur. Il était temps, il y avait maintenant huit monstres dans l’arêne. Sing Hian sauta huit fois et les tua tous, en visant les yeux.
Une odeur de roussi emplit l’arène, et c’est le moment que choisirent les ptérodactyles pour attaquer. Les spectateurs évacuèrent le stade, en hurlant.
SSerge prit les directives.
— Repliez-vous aux extrémités de l’arène, et concentrez vos tirs sur les ailes. Attention, ce sont des engins mécaniques bourrés de kérosène.
Ils en liquidèrent trois, qui explosèrent en dégageant une immense fumée noire. Les autres firent demi-tour.

— Il est temps de toucher notre prime et d’acheter un avion pour partir, dit simplement Serge, et c’est ce qu’ils firent.
Ils trouvèrent un avion très rapide, équipé de canons laser pour lutter contre les ptérodactyles, qu’ils payèrent huit mille pièces d’or. À l’intérieur de l’avion, étrangement, il y avait un boîtier de sauvegarde à clé. Serge essaya la clé du dernier niveau, elle ne marchait pas.
— Qu’allons-nous faire ? s’inquiéta-t-il.
— Prendre la bonne clé, lui répondit Matthieu en souriant. Elle était autour du cou du gnome, heureusement j’ai pu lui arracher.
Le boîtier s’ouvrit aussitôt, ils rechargèrent leur laser et se sauvegardèrent.
— Il n’y a pas de touche Escape, constata Serge. Ce niveau n’est pas terminé, nous avons donc le temps de retourner à l’auberge saluer nos amis.
Matthieu le regarda incrédule. Qu’est-ce qui pouvait bien pousser son ami à vouloir retourner dans l’auberge ? De retour à l’hôtel, ils retrouvèrent Yasmina, Jimmy et Sing Hian, et s’installèrent face à eux dans de confortables fauteuils, près de la piscine.
— Que comptez-vous faire maintenant ? demanda Matthieu.
— Nous allons nous aussi acheter un avion, pour rejoindre « la ville aux Sept Circuits », la saison commence et nous ne voulons pas rater cela. Yasmina nous accompagnera, elle nous a appris qu’elle était originaire de cette région, répondirent-ils.
Serge se leva soudain et s’excusa, puis il entra dans l’auberge. Matthieu le regarda s’éloigner, étonné, alors que ses deux compagnons riaient sous cape.
— Ton ami est parti séduire notre belle hôtesse, il avait une cote d’enfer. Tu as tout ton temps, prends donc un verre avec nous.
Le teint de la jolie Yasmina se colora légèrement, elle observa Matthieu à la dérobée. Le jeune homme ne s’en aperçut pas, il semblait seulement stupéfait et la jeune fille sourit, en voyant son air ingénu.

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9


Il était treize heures trente, lorsque Francis Pugeol frappa chez le gardien de la résidence.
— Comment vas-tu Albert ? Tu as une vie de pacha ici, une vrai retraite. Je viens rendre visite à Gilles Boris, l’informaticien, j’ai une enveloppe à lui remettre en main propre. Tu peux me dire où est sa propriété ?
— C’est la maison numéro douze, un bâtiment futuriste tout en verre fumé, tu ne peux pas la rater. Mais, je crois qu’il a dû partir déjeuner en ville, je n’ai pas vu sa voiture revenir.
— Ce n’est pas grave, je l’attendrai dehors. Je vais pouvoir loucher sur toutes ces baraques, ce n’est pas demain que j’aurai les moyens de m’en offrir une.
Et saluant le gardien, Francis partit à pied vers la résidence. En atteignant la maison de Gilles Boris il ralentit le pas, puis en fit silencieusement le tour. Une porte-fenêtre était entrouverte, et il se glissa à l’intérieur.
La maison était grande, et il la visita de fond en comble. Il trouva enfin ce qu’il cherchait, une salle bourrée d’ordinateurs, avec au centre sur un bureau, un portable allumé. Il passa négligemment son doigt sur le pavé tactile et un grand écran mural s’activa : « Piège virtuel ». Francis avait vu juste, il se trouvait dans le même jeu que chez Matthieu et chez Serge Alès.
— Étrange coïncidence, tout de même.
Soudain, son regard fut attiré par deux écrans, situés sur sa droite.
— On jurerait du matériel médical.
Les écrans affichaient des chiffres, et un graphique se modifiait sans cesse. Le détective reporta son regard sur l’écran mural.
Il vit une sorte d’arène et des hommes qui se battaient.
Les deux costauds, qu’il avait aperçu chez Serges Alès, en faisaient partie. Un des hommes avait plongé dans un bassin, et saisi une sorte de gnome vert en étranglement. Francis consulta à nouveau l’écran médical et ne put retenir une exclamation, le graphique était presque plat et les chiffres très bas.
— Ou il meurt, ou il est en apnée, pensa-t-il.
Au contraire, l’autre graphique était très haché et les chiffres indiquaient « 16-9 ». Francis regarda le grand écran, le deuxième costaud était aux prises avec un monstre, qui ressemblait à un serpent. Il l’abattit avec un pistolet laser. Le monstre s’écroula et se divisa en deux autres bêtes identiques, qui crachaient des flammes. Les chiffres passèrent à « 19-8 ».
— Des émotions intenses qui augmentent le rythme cardiaque. Je n’y comprends rien, mais je sens que je touche au but…
À cet instant, un souffle d’air fit battre la porte de la pièce, quelqu’un entrait dans la maison ! Le détective se déplaça doucement et jeta un regard dans l’entrebâillement, Gilles Boris gravissait l’escalier en silence, un revolver à la main. Francis chercha une issue possible, la pièce n’avait pas de fenêtre. Soudain il aperçut une porte dérobée, qu’il n’avait pas remarquée en entrant, il la rejoignit sans bruit et actionna le pêne, elle s’ouvrit aussitôt. Il pénétra dans une pièce sans lumière, en retenant son souffle, il essaya de s’habituer à l’obscurité et écouta l’approche de l’informaticien. Gilles Boris était maintenant entré dans la pièce où se trouvaient les ordinateurs, et Francis pensa :
— Pourvu que l’économiseur d’écran se soit remis en route.
L’informaticien ne dit pas un mot, et le détective en conclut que l’écran s’était à nouveau éteint. Soudain, la porte grinça et Francis chercha une cachette. Il crut discerner un lit et se glissa dessous, le souffle court. La porte s’ouvrit et se referma aussitôt.
Puis la voix de Gilles Boris retentit.
— Comment allez-vous mes chéris ? À première vue, vous vous amusez-bien. Tu ne connaissais pas le serpent cracheur de flammes, Serge ? Dommage ! Je l’ai trouvé dans un autre jeu, que tu n’as malheureusement pas conçu. Intéressant, non ?
Il reprit, d’une voix qui frisait la démence.
— Et les ptérodactyles ? Tu ne les attendais pas ici, n’est-ce-pas ? Je les ai sortis du dernier niveau, car je ne pense pas que tu l’atteindras.
Brusquement, sa voix prit un rythme inquiétant.
— Mais ils ne tirent pas ! Qu’est-ce que cela veut dire ? J’ai dû oublier quelque chose. Vite, vite ! Il faut que je trouve.
Un bruit de clavier fit comprendre à Francis que l’informaticien consultait l’ordinateur. Il en profita pour se relever et glisser un œil par le trou de la serrure. Gilles Boris cherchait effectivement quelque chose. Il activa une icône ovale et la fit glisser, un peu plus bas, sur une autre icône qui représentait une tête d’oiseau.
— Et voilà, vous allez pouvoir vous amuser maintenant.
Un son d’orgue, que Francis connaissait bien, lui fit comprendre que l’ordinateur redémarrait.
— Ah ce son ! Je le détesterai toujours, dit Gilles Boris.
Puis, il quitta la pièce, en claquant la porte.
Le détective se redressa, ses yeux s’étaient habitués à la pénombre, il y voyait comme en plein jour maintenant. Il se retourna, et observa la pièce. Ce qu’il y découvrit le fit frissonner d’horreur.
— Mon intuition était donc bonne, ce Boris est réellement diabolique ! Je dois à tout prix sortir d’ici…
Francis Pugeol chercha une nouvelle issue et découvrit un conduit d’aération, équipé d’une étroite échelle qui devait servir au nettoyage du circuit de climatisation. Il l’emprunta, et se retrouva deux étages plus bas au sous-sol. Il atterrit dans un vaste garage, puis il se glissa à l’extérieur, sans bruit. La voiture de Gilles Boris était stationnée devant le perron, mais le détective put rejoindre la rue sans encombre. Il partit en courant vers l’entrée de la résidence.

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2


Le circuit diabolique

Le lendemain, les cinq nouveaux amis rejoignirent l’aéroport. Serge sifflotait, visiblement satisfait. Matthieu l’observa, d’un regard en biais.
— Après tout les femmes présentent peut-être plus d’intérêt que les jeux vidéo, qui sait ? pensa-t-il.
Il ne s’y était jamais vraiment intéressé auparavant, mais sa récente aventure l’avait mûri ; il regarda Yasmina, qui lui fit un gracieux sourire, et se sentit étrangement joyeux.
Jimmy et Sing Hian achetèrent un avion, identique au leur et équipé du même type d’armement. Les deux champions avaient décidé d’aider leurs amis à détruire les ptérodactyles, avant de rejoindre la ville aux Sept Circuits.
— Il ne faut jamais se trouver en face d’eux s’ils se mettent à tirer, leur puissance de feu est considérable. Jusqu’à maintenant, aucun d’eux n’a utilisé ses canons laser, mais on ne sait jamais, les prévint Serge en ouvrant le cockpit.
— OK boys, répondit Jimmy, en prenant place dans l’appareil, avec Yasmina et Sing Hian. À bientôt, dans la ville aux Sept Circuits.
Serge et Matthieu leur firent un signe d’amitié et, dans un sifflement strident, ils décollèrent en même temps, se dirigeant vers le sud. Les ptérodactyles attaquèrent aussitôt. Matthieu les compta, il y en avait exactement vingt-quatre.
— Tu en avais prévu combien, dans le Piège d’enfer ? demanda-t-il, en tutoyant Serge. Le jeune homme avait décidé qu’il était adulte maintenant, et il pouvait donc tutoyer son ami.

— Trente deux. Nous en avons abattu un dans le temple hindou et six ici. Il n’en reste donc logiquement qu’un dans le dernier niveau, si Gilles ne s’est pas amusé à les dupliquer. Dans le premier cas, le Piège d’enfer serait considérablement simplifié.
— Espérons qu’il n’y a pas pensé, soupira Matthieu, en dirigeant un des canon laser vers le premier assaillant.
Il le toucha en un seul tir, et le monstrueux oiseau métallique piqua vers le sol en explosant. Jimmy, Sing Hian et Yasmina faisaient du beau travail ; ils en éliminèrent trois d’un coup, en vrais kamikazes.
— Nous avons du retard, nos amis nous battent de deux points, au boulot, sourit Serge en piquant sur les monstres.
Ils rattrapèrent leur retard et l’avion fit une nouvelle boucle, pour repartir à l’attaque. Au même moment, un éclair de feu passa au ras de la carlingue.
— Certains sont armés ! Ou alors Gilles nous surveille et s’est rendu compte de son erreur. Il va y avoir du sport, cria Serge en piquant vers le sol.
Ils étaient poursuivis par deux ptérodactyles et leurs tirs laser les frôlèrent. Il piqua ainsi jusqu’à trente pieds et redressa brutalement, les deux oiseaux s’écrasèrent en explosant violemment. L’avion remontait en flèche, s’approchant d’une dizaine de monstres, qui étaient à la poursuite de Jimmy. Ils les rejoignirent et Matthieu appuya sur la détente, en éliminant trois d’un coup, il compta mentalement qu’il devait en rester douze au maximum. Jimmy était parti en piqué, employant leur précédente technique, et poursuivi par quatre oiseaux. Serge fit un looping et aperçut deux ptérodactyles qui fondaient sur eux, face à face.
— Trop drôle ! dit-il, en dégageant brutalement.
Les deux monstres arrivaient l’un vers l’autre, à pleine puissance, et ne purent s’éviter. Ils se télescopèrent brutalement, dans une explosion retentissante qui déséquilibra l’avion. Serge eut toutes les peines du monde à le rétablir, puis il reprit son cap vers le sud, alors que l’appareil de leurs amis se plaçait à leur hauteur. Sing Hian leur fit signe de les suivre.
Ils étaient poursuivis par les six derniers ptérodactyles et se dirigeaient vers des montagnes noires, à l’est.
Les deux avions venaient de franchir le mur du son, lorsque Jimmy plongea brutalement au cœur du massif.
— Où va-t-il ? Nous allons percuter les roches à cette vitesse ! s’étonna Serge.
Deux puissants jets laser le rappelèrent à la réalité, et il suivit son ami. Il y avait une mince fente dans la roche, Jimmy bascula son avion à 90° et s’engouffra dans l’étroit passage. Serge suivit en pestant.
— Nous allons nous écraser !
Deux ptérodactyles explosèrent derrière eux, et les quatre autres les prirent en chasse, sans cesser de tirer. Les deux avions évitaient les tirs au mieux, Serge était tendu et Matthieu ripostait, essayant de viser. La roche se resserra à nouveau et l’angle passa à 120°, deux oiseaux y laissèrent leurs ailes et disparurent en flamme. Alors, Jimmy changea brusquement de cap et partit droit vers le ciel, suivit par Serge, il vira brutalement à droite et fit un tour complet. Les deux derniers ptérodactyles étaient juste derrière l’appareil de Serge, qui appliqua la tactique de son ami. Jimmy avait terminé sa circonférence et se trouvait maintenant sous les oiseaux, il les abattit en un seul tir. Sing Hian leva le pouce en signe de satisfaction et ils se dirigèrent vers la ville aux Sept Circuits. Matthieu appuya sur « Save ».
— Je me demande comment nous allons franchir le prochain niveau. Il n’y a pas de touche Escape.
— Nous verrons bien, répondit Serge.
Ils survolaient maintenant une ville. L’avion de leurs amis se plaça devant eux et balança les ailes, pour leur indiquer qu’ils étaient arrivés.
Ils le suivirent, et Serge poussa le manche pour commencer à descendre.
— Notre avion ne répond plus ! s’exclama-t-il. Il survole l’aéroport, mais refuse de descendre, nous n’avons pas le choix, nous devons sauter.
Il leva le bras, pour tirer sur le levier marqué « Eject », et se ravisa.
— Donne-moi la main, Matthieu.
Sur le levier était maintenant inscrit « Escape ». Matthieu tendit sa main et Serge actionna le levier. Ils furent brutalement éjectés de l’appareil, … mais sans parachute… !

Des grondements réguliers se faisaient entendre autour de lui, et Matthieu mit quelques secondes à comprendre qu’il se trouvait assis dans une voiture de course, le corps maintenu par des harnais de sécurité. Il accéléra lui aussi, observant le triple feu rouge, face à lui. En jetant un regard sur sa gauche, il reconnut Serge à bord d’une voiture rouge vif qui portait le numéro 10, ils se firent un signe amical et fixèrent à nouveau les feux.
Quand ils passèrent au vert, le jeune homme accéléra à fond. Il avait eu le temps de comprendre qu’il pilotait une automatique, et ne toucha pas au levier. Lorsqu’il s’aperçut qu’il s’était fait passer par tous les concurrents, il regarda son levier de plus près. La voiture disposait de six vitesses, plus deux lettres « A » et « R ». Matthieu leva le pied et tira le levier jusqu’à 4, la voiture bondit, il appuya à fond, releva le pied de l’accélérateur et passa sur 5. Sans lever le pied, il tira jusqu’à 6 ; la voiture bondit à nouveau, il avait compris le maniement du bolide. Il était temps, les premiers concurrents arrivaient dans ses rétroviseurs. Matthieu accéléra encore et les distança, en prenant un plaisir fou à conduire. Il retrouva très vite les réflexes qu’il avait acquis sur sa console vidéo, il était le meilleur dans cette discipline, face à ses copains.
En trois tours, il avait rattrapé la meute, et il commença à remonter les bolides un à un. Il comprit très vite que le jeu n’était pas sans risque, les pilotes ne se faisaient aucun cadeau, n’hésitant pas à se pousser contre les murs de béton brut, qui cerclaient le circuit. Il n’y avait aucune barrière de sécurité et une partie du parcours longeait un ravin, où les voitures disparaissaient l’une après l’autre. Au cinquième tour, il reconnut la voiture de Serge, aux prises avec un bolide jaune, qui essayait de le projeter à l’extérieur. Matthieu, à pleine vitesse, son compteur indiquait 360 Km/h, percuta la voiture jaune à l’arrière, il perdit instantanément 120 Km/h, rétrograda et repartit en surveillant ses rétroviseurs. Ses poursuivants étaient tout près maintenant. Il accéléra à nouveau, coupa un virage en total dérapage, et rattrapa les deux voiture de tête. Serge était toujours talonné par le bolide jaune, Matthieu se rapprocha et cueillit la voiture juste à l’angle, puis passa en seconde place. Dans son rétroviseur, il constata que la voiture jaune était partie en tête-à-queue et que les autres concurrents s’écrasaient dessus.
Il rit en rattrapant Serge, et ils passèrent la ligne d’arrivée roues dans roues.

Ils se congratulaient sur le podium, lorsque deux voix connues les interpellèrent.
— Eh bien vous n’avez pas perdu de temps ! Nous étions inquiets, nous ne vous avons pas vu atterrir, s’inquiétaient Sing Hian et Jimmy.
Yasmina, en retrait, dévorait Matthieu des yeux. Le jeune homme répondit timidement à son sourire.
Serge rassura les deux champions.
— Je vous expliquerai tout ce soir. Avez-vous trouvé un hôtel ?
— Pas question d’hôtel ici, vous êtes nos invités, cette ville est notre résidence habituelle, leur expliqua Jimmy en souriant.
— Eh bien allons-y, j’avoue que je suis fatigué, pas toi Matthieu ?
— Je suis épuisé tu veux dire, répondit le jeune homme, en emboîtant le pas à ses amis.
— Vous auriez pu nous dire que vous étiez inscrits, nous l’avons découvert sur les panneaux à l’entrée du circuit. En plus, vous êtes les favoris, leur dit Sing Hian sur un ton de reproche.
— Nous ne le savions pas nous même, avoua Serge. Mais, je vous dois des explications, dès que nous serons arrivés chez vous.
La résidence des deux champions était à l’écart de la ville et Jimmy les emmena dans une imposante limousine, de marque inconnue, dont il semblait très fier. Ils leur firent visiter la maison. Face au salon, il y avait une terrasse où étaient nonchalamment étendues trois superbes filles de race différente.
— Vos amies sont splendides ! s’exclama Serge en connaisseur.
— Ce sont nos amies à tous les quatre, nous aimons recevoir dans les règles de l’art, répondit Sing Hian en souriant, et Matthieu pensa que le temps était peut-être venu d’oublier les jeux vidéo.
Comme s’il avait lu dans ses pensées, Serge s’effaça et le laissa passer devant lui.
— À toi l’honneur Matthieu, il est peut-être temps pour toi de changer de jeu.
Jimmy et Sing Hian éclatèrent de rire.
En rougissant, le jeune homme s’approcha des jeunes filles et les salua.
— Bonjour mesdemoiselles, votre présence est un ravissement pour les yeux et pour le cœur.
Elles le remercièrent d’un sourire délicieux, alors que Yasmina s’ombrageait. Une adorable métisse le remarqua et lui approcha un transat.
— Viens t’allonger avec nous, il y a un soleil splendide. Comment t’appelles-tu ? Tu as des yeux superbes !
— Je m’appelle Yasmina, répondit la jeune fille, ravie, alors que les quatre champions se dirigeaient vers le bar, entraînés par Jimmy.
Après un solide repas, les quatre hommes s’installèrent avec les jeunes filles sur les profonds canapés du salon, en allumant des cigares que Matthieu refusa poliment. Il voulait bien atteindre l’âge adulte, mais les cigares ne l’inspirait pas vraiment. Il refusa aussi les alcools que Jimmy servait généreusement et que Serge accepta sans aucun remords.
— Maintenant tu nous dois des explications Serge, demanda Jimmy en tirant sur son havane.
— J’aimerais aussi comprendre d’où vous veniez, lorsque vous m’avez tirée des griffes des mutants satyres, et comment nous nous sommes retrouvés en plein désert en moins d’une seconde, renchérit Yasmina toute excitée.
Serge leur expliqua, en détail, le piège dans lequel Matthieu et lui se trouvaient. Il commenta leurs précédentes aventures, le Labyrinthe infernal, la Rivière sans retour et le Temple maudit.
— Ainsi vous vous retrouvez transférés dans un jeu conçu par Serge, c’est du moins ce que vous imaginez. Nous pouvons vous assurer que ce monde est bien réel, rétorqua Sing Hian.
— Pour vous peut-être, mais comment expliquer que nous n’avons pas pu atterrir et que le levier marqué « Eject » s’est changé en « Escape » ? Et par quel miracle nous sommes-nous retrouvés au volant de ces bolides ?
— Et connais-tu l’étape suivante ? demanda Jimmy, intrigué.
— Dans mon jeu, ces deux niveaux n’existent pas, je n’ai jamais programmé « la ville des Combattants » et je viens juste de terminer celui-ci, « le Circuit diabolique »…
— … Logiquement, le prochain se nomme « le Piège d’enfer », et se situe dans une usine radio-active, gardée par de dangereux mutants et survolée par les ptérodactyles que nous avons abattus, ajouta Serge.


— Tout cela ne tient pas debout, rétorqua Jimmy, en remplissant à nouveau les verres et en servant un jus de fruits à Yasmina et à Matthieu. Nous avons tous les deux trente ans, et avons toujours vécu ici. La ville d’où nous venons a toujours existé, nous nous y rendons tous les ans depuis plus de dix ans. Nous en vivons d’ailleurs très bien…
Sing Hian reprit :
— La rivière sans retour existe réellement, mais nous ne l’avons jamais remontée, le courant est trop violent et il y a une jungle inhospitalière autour, remplie de gnomes verts et de dangereux mutants.
— C’est en partie pour cette raison que mes parents avaient choisi d’utiliser un avion, approuva Yasmina.
— Et l’usine atomique existe aussi, ajouta Jimmy. Ce n’est pas un endroit agréable, mais il n’y a pas de course demain matin, nous vous y emmènerons.
Serge et Matthieu se regardèrent, sceptiques.
— Nous pouvons essayer d’y aller, nous verrons bien ; mais je ne pense pas que nous pourrons sortir de ce niveau sans avoir gagné toutes les courses, conclut Serge.
Yasmina, qui se trouvait à côté de Matthieu, émit soudain un soupir, se pencha vers lui et l’embrassa tendrement au coin des lèvres.
— Si nous allions dormir ? J’aimerais vérifier si tu es bien réel.
Le jeune homme devint rouge comme une pivoine, et ses trois compagnons éclatèrent de rire.
— C’est une excellente idée les amis. Allons dormir. Nous aviserons demain, proposa Jimmy en se levant.
Matthieu suivit sa jolie compagne, le cœur battant. Il n’avait jamais touché une fille de sa vie, et le rapide baiser de Yasmina l’avait bouleversé. Il sentit une peur panique l’envahir. La jeune fille n’avait pas lâché sa main et l’entraîna rapidement vers la chambre, que Jimmy lui avait réservée.
Une fois la porte refermée, elle se tourna vers lui et l’embrassa à nouveau, en se soulevant sur la pointe des pieds.
— Pour moi, c’est la première fois, je n’ai que seize ans, lui avoua-t-elle en tremblant.
— Moi aussi je n’ai que seize ans et c’est aussi la première fois, lui répondit Matthieu en lui rendant maladroitement son baiser.
— Tu parais beaucoup plus vieux, tu es tellement musclé, dit-elle en caressant son torse bronzé et en l’entraînant vers le lit.
Matthieu la souleva soudain et la coucha délicatement, tout en l’embrassant. Puis il entreprit de déboutonner sa robe. Alors Yasmina rit.
— Tu ne me mens pas, visiblement tu n’as jamais déshabillé de fille. Laisse-moi faire, dit-elle en prenant l’avantage.
Elle ne mit que quelques secondes à retirer ses vêtements, puis se redressa et se recula, en fixant le jeune homme, soudain inquiète.
— Tu me trouves réellement jolie ?
— Je te trouve adorable, répondit le jeune homme, le souffle court.
Debout, elle était encore plus belle que lorsqu’il l’avait découverte, dans le temple hindou. Ses seins ronds, aux pointes dressées par le désir, étaient si fermes et ses hanches dessinaient une courbe tellement gracile. En prolongement du nombril, son ventre, élégamment bombé, se rétrécissait jusqu’à son pubis noir comme le jais, qui ressemblait à un petit éventail. Elle avait de longues jambes fines et Matthieu n’en pouvait plus de contempler son corps.
— À toi maintenant, dit-elle d’une voix altérée, en se rapprochant et en lui ôtant son tee-shirt.
Elle caressa longuement son torse et descendit vers les abdominaux durs comme de l’acier, puis doucement, elle défit son ceinturon, dégrafa le premier bouton de son jean et d’un geste brusque elle l’ouvrit, libérant les derniers boutons, tout en le basculant sur le lit. Alors, elle l’embrassa à pleine bouche, pendant que le jeune homme essayait vainement de retirer ses rangers.
Son corps, léger comme une plume, dégageait une chaleur intense et Matthieu pensa qu’il n’aurait pas le temps de lui faire l’amour, tellement il avait envie d’elle.
Comme si elle l’avait compris, elle relâcha sa pression et l’aida à retirer le reste de ses vêtements. Puis elle se glissa à nouveau sur lui.
— Doucement, s’il te plaît, lui dit-elle, c’est la première fois et tu ne connais pas ta force, je le sens.
Matthieu la pénétra lentement, attentif à sa progression, en retenant un désir qui s’amplifiait à lui faire mal. Yasmina devint pâle et laissa échapper un cri de douleur, puis elle bougea sur un rythme de plus en plus rapide, et soudain elle s’activa fébrilement en gémissant.
Le jeune homme se sentit pris dans un remous intense, comme un océan en furie. Brusquement, il ne put plus se contenir et jouit, alors que sa compagne hurlait de plaisir.
Il firent ainsi l’amour toute la nuit, s’interrompant pour de brèves minutes de sommeil, étroitement enlacés, en faisant les mêmes rêves délicieux. Le lendemain, ils se retrouvèrent tous très tôt, pour prendre le petit déjeuner. Matthieu semblait très ensommeillé et souriait aux anges. Sa jolie compagne se moqua de lui, en l’embrassant.
— Je peux vous assurer qu’il est bien réel, et même très très présent.
— Te voilà un homme maintenant, lui dit Serge, en souriant et en lui tapant amicalement l’épaule.
Ils déjeunèrent très vite et prirent place dans un véhicule tout-terrain, car la route de l’usine atomique était impraticable.
— Faites attention à vous, cet endroit est dangereux, les supplia Yasmina. Appelez-nous si vous avez un problème, nous trouverons une solution pour vous rejoindre, ajouta-t-elle, en désignant le téléphone du 4x4.
L’usine se trouvait à une heure de la ville aux Sept Circuits, dans une région montagneuse, et Sing Hian qui conduisait, connaissait très bien l’itinéraire, se jouant des ornières. Il mirent pile une heure pour s’y rendre.
— La voilà ! Tu la reconnais, Serge ? dit Jimmy, en montrant un énorme et sinistre bloc de béton, qui se détachait sur le ciel rouge à l’horizon.
— C’est bien elle ! Visiblement nous avons abattu tous les ptérodactyles, le ciel est vide. Approchons-nous.
— N’oublie pas qu’il en reste logiquement un, rappela Matthieu.
Il avait à peine prononcé ces mots, que le monstre apparut.
Il survola le 4X4, mais ne tira pas. Ils s’approchèrent de l’usine, et descendirent du véhicule. Serge sortit le portable de son sac et le consulta.
— Il n’indique rien, dit-il, en le tendant à Matthieu. J’avais raison, regarde…
Le jeune homme prit l’ordinateur, et constata que l’image montrait toujours le Circuit infernal. À cet instant, cinq mutants satyres sortirent de l’usine. Serge brandit son pistolet laser et tira, sans succès. Les mutants passèrent à deux mètres d’eux, sans sembler les voir.
— Alors, vous êtes convaincus maintenant ?

Ils reprirent le tout-terrain et firent rapidement demi-tour vers la ville aux Sept Circuits. Durant plusieurs minutes, aucun d’entre eux ne parla, ils étaient trop soucieux.
— C’est une histoire incroyable, dit enfin Jimmy, rompant ce lourd silence. Les mutants ne nous ont même pas vus. Pourtant, nous au moins nous sommes bien réels, nous ne faisons pas partie d’un jeu vidéo, et les mutants satyres ont l’ordre de tirer à vue sur quiconque s’approche de l’usine.
Serge était pâle.
— Nous n’avons pas le choix, nous devons gagner toutes les courses… Il reste six circuits, les cinq suivants sont réalisables, mais le dernier est diabolique.
— Vous ne devrez surtout pas tomber dans le « Gouffre sans fin », ou vous mourrez, approuva Sing Hian.
— Le problème c’est que nous ne mourrons pas, nous reviendrons à la dernière sauvegarde, c’est à dire à la première course, cela devient vite épuisant… Je n’ai pas du tout envie que ça arrive, mais là vous seriez bien obligés de me croire.
— Nous te croyons Serge, nous te croyons, les mutants nous ont convaincus, lui répondit Jimmy, soudain grave. Dans la dernière course, ceux qui gagnent savent éviter les autres bolides, vous y arriverez j’en suis sûr, renchérit-il.

Les courses reprenaient à quatorze heures, et ils passèrent la fin de la matinée à se reposer, profitant de la piscine et de leurs attentives amies. Lorsque la deuxième course s’annonça, Matthieu était fin prêt, il avait parfaitement assimilé le fonctionnement du levier de vitesses et Serge lui avait indiqué tous les pièges des courses à venir. La principale difficulté de celle-ci était une suite de dos d’ânes meurtriers, qui faisaient décoller les bolides à pleine vitesse. Si un dos d’âne était mal pris, la voiture s’envolait et se retournait sur le suivant.
— Juste à l’entrée du dos d’âne, tu relèves le pied un quart de seconde, puis tu appuies à fond, … dans ce cas les amortisseurs se tassent et la voiture reste plaquée au sol. Tu as juste une impression d’ascenseur, qui est d’ailleurs assez amusante, lui avait confié Serge.
Matthieu, en contrôlant le régime de son bolide, guettait le passage des feux au vert, il espérait bien finir premier, cette fois. Au vert, il écrasa l’accélérateur à fond et monta les vitesses, il était quatrième et roulait à 280 Km/h lorsque le premier dos d’âne apparut. À cet instant un concurrent le doubla à plus de 300 Km/h.
Matthieu leva légèrement le pied de l’accélérateur, puis l’enfonça au plancher. Il passa l’obstacle en douceur, alors que l’autre bolide était à deux mètres du sol. Au deuxième dos d’âne, le jeune homme releva à nouveau le pied, puis passa à fond. Son adversaire s’explosa littéralement. Matthieu accéléra encore, pour éviter d’être touché par les débris.
Maintenant qu’il avait parfaitement assimilé la technique, il atteignit 360 Km/h. Le système fonctionnait très bien, même à cette vitesse, et il se trouva rapidement dans le peloton de tête. Serge était toujours premier, mais les autres concurrents savaient fort bien conduire. Matthieu dut ruser pour les éliminer, il en restait quatre. Il doubla le dernier dans une ligne droite et, juste avant le dos d’âne il serra à droite, puis redressa en levant le pied, pour prendre l’obstacle en ligne. Son adversaire donna un léger coup de volant, pour le doubler à gauche, et cela le perdit. Il n’était plus dans le bon axe et s’envola, partant en tonneaux successifs.
Trois tours plus loin, Matthieu était à la hauteur de la voiture de Serge, ils attaquaient le dernier dos d’âne.
Le jeune homme joua le tout pour le tout et ne ralentit pas, bien au contraire, son bolide s’envola et retomba trois mètres devant la voiture de son ami. Il ne restait plus que trois cent mètres à parcourir pour atteindre l’arrivée, Matthieu accéléra encore et passa la ligne en tête. Il avait gagné !
Sur le podium, Serge le félicita chaleureusement.
— Tu as pris des risques pour me battre et tu t’en es bien tiré. Pour la troisième course, je te demande fermement de démarrer très vite, pour être juste derrière moi. Ne cherche pas à me doubler, elle est meurtrière, toute en courbes droite-gauche et sans aucune barrière de sécurité. Il y a tout juste la place pour passer à deux de front, et toute la course se réalise en dérapages successifs. Les bolides tombent dans le vide, à vingt mètres de hauteur.
Matthieu promit de ne pas doubler. Dès le premier virage, il comprit ce que Serge avait voulu dire et se contenta de le suivre. Il finit juste derrière son ami la peur au ventre. Sur vingt-six concurrents, il n’en restait plus que douze, tous les autres étaient morts.

Les quatre dernières courses avaient lieu le lendemain, et étaient très particulières. Il ne s’agissait plus d’un circuit, mais de grandes empreintes de météorites parfaitement rondes, tout du moins pour les trois premières. La quatrième empreinte, juste au bord du « Gouffre sans fin », était la plus meurtrière.
Nos amis se relaxèrent, pour être en pleine forme le lendemain. Les jeunes filles que Jimmy avait invitées étaient très douées pour les massages, et leur dénouèrent les muscles un à un, puis leur firent prendre un bain très chaud. Ils rejoignirent Sing Hian et Jimmy, parfaitement détendus.
Le géant roux prit la parole, visiblement soucieux : — Lorsque vous aurez gagné la dernière course, vous trouverez vraisemblablement un boîtier de sauvegarde, qui vous téléportera directement dans l’usine atomique… ?
— C’est probable… oui, répondit Serge en observant son ami, cherchant à comprendre où il voulait en venir.
— Eh bien. Nous avons décidé de ne pas vous laisser tomber. Nous prendrons l’avion, pour détruire le ou les ptérodactyles. Puis, nous nous poserons plus loin et vous rejoindrons dans l’usine, reprit Sing Hian.

— Nous ne pouvons pas accepter. Pour l’avion d’accord, mais l’usine est atomique et les radiations vous tueraient… À l’intérieur, il y a des bacs d’acide, que nous devrons traverser pour ouvrir tous les passages, rétorqua Serge.
— Et puis, les mutants sont encore plus dangereux que ceux que nous avons battus avec peine dans l’arène, ajouta Matthieu.
— C’est bien justement pourquoi nous tenons à vous aider, n’ayez crainte nous avons tout prévu, insista Jimmy en se levant et en ouvrant un placard, d’où il sortit quatre combinaisons antiradiation.
— Vous êtes de vrais amis, mais vous oubliez que vous risquez votre vie. Nous, nous risquons seulement de revenir à la sauvegarde, ajouta Matthieu.
— Nous avons beaucoup réfléchi à votre aventure. Si Gilles Boris vous a réellement plongé dans cette galère, il n’a pas l’intention de vous voir en sortir vivants. Quels arguments aurait-il s’il se trouvait en face de vous ? Pour lui, c’est devenu une affaire de vie ou de mort, il est sans doute devenu fou, insista Jimmy, gravement.
— Vous avez raison ! répondit Serge. Gilles Boris doit être dérangé et je ne sais pas quel nouveau piège il nous réserve, dans l’usine…
Puis il se leva, essaya une combinaison antiradiation, et constata qu’elle était très légère. Il en tendit alors une à Matthieu, et ils les placèrent dans leurs sacs.
— Je veux venir avec vous, s’exclama soudain Yasmina.
— Impossible ! répliqua Jimmy. C’est beaucoup trop dangereux, et de toute façon nous n’avons plus de combinaison antiradiation.
— Je peux tout de même vous accompagner dans l’avion… je sais piloter, mon père m’avait appris… Je le garderai, s’il vient d’autres mutants.
— Bon d’accord, répondit le géant, à regrets. Mais ne t’avise pas de sortir de l’appareil.
Le lendemain, alors que les dernières courses commençaient, Serge calcula que l’aventure durait depuis plus de huit jours.
— Les parents de Matthieu ont dû s’inquiéter, depuis tout ce temps. Ils ont sûrement prévenu la police, et une enquête doit être ouverte.
Les trois premières courses ressemblaient à du stock-car, et étaient plutôt amusantes. La technique consistait à toucher le bolide adverse dans un angle, pour provoquer une série de tonneaux irrémédiables.

Matthieu s’amusa comme un fou et ils finirent tous deux sur le podium, seulement second et troisième, un colosse leur avait ravi trois fois la première place. C’était un vrai kamikaze, et les deux jeunes hommes décidèrent de s’en méfier pour la dernière épreuve, il était capable de venir les chercher pour les précipiter dans le Gouffre sans fin. Lorsqu’ils se mirent en place pour la finale, une foule énorme était massée sur les rebords de l’empreinte de météorite.
— La mort attire toujours les populations, pensa Serge en faisant ronfler le moteur de son douze cylindres, qui ne demandait qu’à s’élancer.
Le départ donné, un rugissement rageur emplit la vaste carrière, et les bolides se ruèrent les uns sur les autres. Serge braqua tout à gauche et contourna la meute, croisant la voiture de Matthieu, prudent. Il remarqua que le gagnant des trois premières manches procédait de même, et ne le quitta plus des yeux. Matthieu avait suivi les conseils de ses amis, mais il avait tout de même envie de participer au carnage, il s’approcha du vide et y propulsa trois voitures.
Une intuition lui fit tourner la tête, le colosse lui fonçait droit dessus. Matthieu accéléra et évita l’impact.
— Il y va tout droit, le dingue !
Mais son adversaire savait conduire, il fit un ultime tête-à-queue pour échapper au gouffre et se rua à la poursuite de Matthieu. Le jeune homme rejoignit le fond de la carrière et, juste avant les premiers rochers, il vira sur place. Le colosse avait des réflexes, il évita la muraille et continua sa poursuite. Matthieu se dirigeait à fond vers le gouffre, tentant une ultime manœuvre, lorsqu’il vit passer une masse au-dessus de sa tête. Il pila à mort et changea de cap, il avait reconnu la voiture du colosse. En tournant la tête, il aperçut le bolide de Serge qui venait vers lui, dans une série de dangereux tonneaux.
En propulsant la voiture du colosse vers le gouffre, il avait perdu le contrôle de la sienne. Matthieu appuya à fond sur l’accélérateur et percuta la voiture de Serge, juste à l’angle, déviant sa trajectoire. Comme elle s’écrasait sur la muraille, il la rejoignit et descendit en courant de son bolide. Serge était très mal en point, le jeune homme le tira du véhicule, juste avant qu’il n’explose, et lui plaça une pilule bleue dans la bouche.
— Si je comprends bien, nous avons gagné, dit Serge en revenant à lui.
— Oui, nous avons gagné, mais nous ne serons que deux sur le podium, le colosse était vraiment trop casse-cou, lui répondit Matthieu.
Comme prévu, ils trouvèrent une sauvegarde et un « Escape » sur la plate-forme. Ils disparurent dans un éclair, laissant les spectateurs pantois.

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10


Francis Pugeol avait traversé la résidence en courant, rejoint sa voiture sans saluer le gardien, et démarré en trombe. Tout en conduisant, il saisit son téléphone portable et appela le labo de la PJ.
— Allo, Jacky ? As-tu le résultat des analyses ?
— Je viens juste de terminer, les empreintes appartiennent à Serge Alès et à Gilles Boris. Je n’ai eu aucune peine à les identifier, ils s’occupent tous les deux de la maintenance des ordinateurs de la PJ et ont référencé leurs empreintes, pour pouvoir entrer dans nos locaux.
Jacky continua :
— La bouteille de champagne est tout à fait normale. En revanche, sur l’un des verres, il reste les traces d’un hallucinogène vaudou très puissant. L’homme qui ingurgite cette saloperie devient un véritable zombie, à la merci de celui qui lui a fait boire.
— C’est bien ce que je pensais. C’est dangereux pour l’organisme ?
— Absolument pas, mais cela dépend de ce que la victime réalise sous l’emprise de la drogue. C’est le cerveau qui travaille et le rythme cardiaque suit, si tu vois ce que je veux dire.
— Je vois, je vois même très bien. Peux-tu m’ouvrir un dossier, en toute confidentialité ? demanda Francis.
— Je pourrais, mais je dois avoir l’ordre d’un inspecteur et il n’y a pas d’enquête officielle, répondit Jacky.

— Je vais contacter Pierre Tréson de ce pas, pour qu’il dépose plainte et fasse ouvrir une enquête. Jusqu’ici, tu ne sais rien.
Et le détective accéléra, en se dirigeant vers le domicile de l’industriel. Dix minutes plus tard, il sonnait à la grille et la mère de Matthieu le fit entrer.
— Bonjour Carole, j’ai du nouveau… Pierre est-il ici ?
— Non, il est à son bureau, je l’appelle, répondit-elle, affolée.
— Demandez-lui de venir tout de suite.
Pierre arriva rapidement, très excité.
— Ton enquête a progressé ? Raconte vite !
Francis leur commenta ses visites au domicile de Serge Alès, puis chez Gilles Boris, et la découverte du même jeu que sur l’ordinateur de Matthieu.
— Surtout ne vous affolez pas, j’ai aussi découvert autre chose chez Gilles Boris. Il séquestre Matthieu et Serge Alès en les maintenant sous l’emprise d’une drogue et, par je ne sais quel artifice, il les fait voyager dans ce jeu vidéo. Venez voir !
Et il les précéda dans la chambre de Matthieu, il bougea la souris, pour désactiver l’économiseur d’écran, et le jeu apparut. Trois hommes étaient debout sur un podium et levaient les bras en signe de victoire. Puis, trois autres personnages, une jeune eurasienne, un géant roux et un frêle asiatique venaient congratuler deux des vainqueurs. Pierre les détailla, ils s’agissait de deux athlètes. Il ne reconnut pas le brun, mais le blond lui rappela Matthieu, avec au moins cinq ans, quarante centimètres et cinquante kilos de muscles en plus.
— Ahurissant ! s’exclama-t-il. Comment cela peut-il être possible ?
— Je les ai trouvé sanglés sur un lit, un goutte à goutte de survie dans la bouche et des électrodes sur la tête. J’avoue que je n’ai pas demandé mon reste. Le labo de la PJ m’a confirmé qu’il s’agissait d’un puissant hallucinogène vaudou.
Francis Pugeol reprit :
— Pierre, tu dois déposer plainte contre Gilles Boris, pour enlèvement et séquestration et exiger une perquisition à son domicile.…
Et en sortant de la chambre, il ajouta :
— J’ai la quasi certitude que leur vie n’est pas en danger mais, pour plus de sûreté, nous pénétrerons tous les deux dans la maison par le sous-sol et surveillerons la pièce où Gilles Boris détient ton fils. On ne peut jamais prévoir la réaction d’un cerveau dérangé.
Pierre Tréson se leva.
— Allons-y tout de suite, il n’y a pas un instant à perdre. Laisse ta voiture ici, je t’emmène.
Ils quittèrent rapidement la propriété et se rendirent au commissariat. L’inspecteur qui les reçut n’en croyait pas ses oreilles.
— Foi de Truffons, si je ne vous connaissais pas je ne croirais pas un mot de cette histoire ! Je vais envoyer une patrouille tout de suite, dit-il en saisissant son téléphone.
Pierre Tréson retint sa main.
— Non ! Vous allez d’abord demander un mandat de perquisition en bonne et due forme, puis vous viendrez sonner chez Gilles Boris avec un collègue.
Sa voix se fit pressante.
— Je ne veux ni voiture de police ni sirène, … mon fils est à l’intérieur de cette maison et sa vie est en danger.
L’inspecteur reposa le combiné, à regret.
— Vous avez raison, monsieur Tréson, excusez-moi.

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11


Le piège d’enfer

Dès la disparition de Serge et de Matthieu, Jimmy, Sing Hian et Yasmina avaient bondi dans leur voiture, en direction de l’aéroport. Jimmy prit les commandes, ils décollèrent aussitôt et rejoignirent rapidement l’usine atomique, elle était à moins d’un quart d’heure d’avion.
— Ils doivent déjà être à l’intérieur, nous n’avons pas un instant à perdre, dit le géant roux.
En survolant le bâtiment, ils aperçurent le ptérodactyle et plongèrent sur lui en tirant, l’oiseau les évita et riposta sans les atteindre. À l’instant où Jimmy le reprenait en chasse, un nouveau monstre apparut à neuf heures. Sing tira et abattit le premier ptérodactyle, Jimmy redressa et se dirigea vers le second. Un troisième surgit alors, à six heures.
— Il faut faire vite ! Je parierais que Gilles Boris nous regarde et s’est aperçu de son erreur, conseilla Sing Hian.
Jimmy prit les deux oiseaux en enfilade et Sing tira quatre fois ; ils explosèrent tous les deux, presque ensemble. Il n’en apparut pas d’autre.
— Tu avais raison, nous l’avons heureusement pris de vitesse. Il n’a sans doute plus la possibilité de les dupliquer maintenant, répondit Jimmy, soulagé. Posons-nous vite, nos amis ont sûrement besoin de nous.
Il y avait une piste juste devant l’usine, mais aussi un comité d’accueil d’une cinquantaine d’hommes armés, en uniforme. Le géant posa l’appareil, puis fit demi-tour.
Sing Hian envoya trois tirs laser et tous les hommes s’écroulèrent, fauchés.
— Joli coup ! On se serait cru au bowling.
— C’est à vous de jouer maintenant les garçons, n’ayez crainte je garde l’appareil, dit alors Yasmina, d’un ton si directif qu’ils ne purent s’empêcher de sourire.
— Fais-nous une bise pour nous souhaiter bonne chance, demanda Sing Hian.
Elle s’exécuta en riant et les regarda partir, l’estomac serré par une terreur incontrôlable. Les deux champions quittèrent l’appareil, enfilèrent leur combinaison antiradiation et pénétrèrent dans l’usine par la porte principale. L’endroit était particulièrement sinistre et paraissait vide, ils choisirent un couloir au hasard et le parcoururent au pas de course.
— Tu crois que Serge et Matthieu sont ici ? Le bâtiment semble vide, c’est étrange, demanda Sing Hian, soudain inquiet.
— Bien sûr qu’ils sont ici. Où voudrais-tu qu’ils soient ? répondit Jimmy.
Lui aussi était inquiet.

Matthieu et Serge avaient été téléportés au cœur de l’usine, ils se trouvaient sur un bloc de béton, entouré de fossés nauséabonds.
— Nous pouvons remercier nos amis de nous avoir fourni des combinaisons antiradiation. Nous ne devrions pas commencer le niveau ici, mais face à ce bloc, il devrait y avoir un mutant à cet endroit.
— Gilles Boris a donc pu modifier ta programmation ? demanda Matthieu, la voix chargée d’angoisse.
— Non, il a seulement déplacé le point de départ. J’ai créé un plan avec tous les personnages et les décors, il suffit de les glisser ailleurs.
À cet instant, un monstrueux grognement retentit, et un mutant satyre apparut en face d’eux, sur l’autre rive.
— Tu vois, il a juste inversé deux icônes, dit Serge, en tirant sur le monstre qui s’écroula.
— Bon, nous ne pouvons pas rester ici, il est temps de tester nos combinaisons. Suis-moi, ajouta-t-il, en plongeant dans le liquide radioactif.
Matthieu le suivit, à regrets, et constata que sa combinaison était parfaitement étanche. Ils se hissaient sur le quai, quand deux silhouettes connues apparurent, à l’angle d’un couloir. Serge leur fit signe, heureux de les retrouver indemnes.
— Comment avez-vous donc fait pour arriver jusqu’ici si vite ? demanda Matthieu à ses amis.
Jimmy leur raconta tout en détail.
— Bien joué ! leur dit Serge. Maintenant, je vais vous expliquer les pièges de cet endroit infernal. L’usine est sur trois niveaux, dont un en terrasse, qui est devenu beaucoup moins dangereux, avec la disparition des ptérodactyles. Le niveau où nous nous trouvons est gardé par des mutants satyres, qui crachent des boules de feu particulières. Elles ont la faculté de rebondir sur les murs, à la manière d’une boule de billard, et sont donc très meurtrières.
— Comment peut-on leur échapper, si elles nous suivent à la trace ? demanda Matthieu
— Nous sommes des férus de billard, s’exclama Jimmy. Si nous calculons bien nos angles, il suffira d’attirer ces bestioles à un point précis de la salle, pour qu’elles reçoivent la monnaie de leur pièce, par ricochet.
— Plausible, admit Serge en riant.
Il reprit.
— Le second niveau est entièrement radioactif. C’est le cœur de l’usine, où se trouve la pile atomique. Il n’y a pas un seul être vivant à l’intérieur, mais uniquement des boules volantes, qui se mettent en chasse lorsqu’elles repèrent la chaleur humaine. Elles ne lâchent jamais leur proie, et il en existe une centaine à l’origine.
— Et comment peut-on les éliminer ? demanda Sing Hian.
— On peut les faire exploser en cinq tirs précis. Cela entend qu’il est impératif de recharger les lasers, et il n’y a que deux recharges par niveau. Il faut donc les trouver en priorité !

Puis Serge ajouta.
— En ce qui concerne la terrasse, c’est ici que l’on trouve les « boss », comme on dit dans le jargon des concepteurs de jeux. Il s’agit de pieuvres géantes, munies de laser sur chaque tentacules. Notre seul avantage est que ces monstres résident dans des bassins, et ne peuvent pas en sortir.
— Penses-tu qu’avec les surprises que nous avons amenées, nous pourrons nous en débarrasser ? demanda Sing Hian, en montrant un chapelet de puissantes grenades offensives.
— Peut-être, mais c’est dangereux, il ne faudrait pas faire sauter la centrale atomique, lui répondit Serge, en réfléchissant. Il ne faudra en aucun cas les utiliser dans le grand bassin, il est juste au-dessus du noyau nucléaire.
— Allons-y ! Qu’on en finisse ! conclut Matthieu, en se dirigeant vers une sculpture.
Il appuya dessus et ouvrit le premier passage. Ils pénétrèrent dans une salle immense et totalement lisse. Cinq mutants les chargèrent aussitôt.
— Dispersez-vous au deux tiers des murs, cria Jimmy. Et dès que ces bestioles cracheront leurs boules de feu, plongez à terre.
Ils choisirent chacun le leur et l’entraînèrent où ils voulaient, en tirant tous en même temps sur le cinquième qui explosa, maculant les murs. Les satyres en grognant, envoyèrent leurs boules de feu, et les quatre hommes se jetèrent au sol, en observant les boules qui ricochaient. Comme prévu, les mutants furent pris à leur propre piège et s’auto-détruirent. Ils traversèrent cinq salles en répétant le même scénario, qui s’avérait moins fantaisiste qu’ils auraient pu le penser au premier abord. La sixième salle avait un temple grec en son centre ; Serge et Matthieu comprirent aussitôt qu’il y avait une sauvegarde et une recharge, et entraînèrent leurs amis vers l’édifice. Ils avaient à peine gravi les marches que trente mutants apparurent.
— Gilles en a rajouté. Dieu merci nous pourrons recharger les pistolets laser, s’écria Serge.
— Attention aux boules de feu, plus question de billard maintenant, ajouta Matthieu.
Ils tiraient comme des forcenés, rechargeant les pistolets laser régulièrement. Les cadavres dégageaient une odeur insupportable, et le temple commençait à s’écrouler.
— Sauvegardez-vous ! hurla Jimmy. Nous avons besoin de vous ici. Rappelez-vous que si vous êtes touchés vous repartez à zéro.
Une boule de feu l’atteignit au même moment et il s’écroula, en sang.
— Ne vous occupez pas de moi, dit-il en perdant connaissance.
— J’essaye une pilule, cela marchera peut-être, cria Matthieu, en se précipitant vers son ami et en lui faisant avaler une pilule bleue.
Le géant se redressa aussitôt, étonné. Serge et Matthieu se regardèrent, soulagés. Il ne restait plus un seul mutant vivant dans la salle, et ils continuèrent leur progression. Ils atteignirent un grand bassin nauséabond.
— L’entrée de l’étage supérieur se trouve au fond de ce bassin, prévint Serge. Heureusement, nous avons tous des combinaisons antiradiation. Méfiez-vous, dans ce liquide il y a quinze spectres et nous ne pouvons pas les repérer à l’odeur, ils forment juste un halo bleu qui se discerne dans le liquide verdâtre, mais c’est très aléatoire.
— Je propose que nous y allions seuls, dit Matthieu. Jimmy et Sing Hian nous couvriront en surface. Si nous mourons, nous revenons à la salle précédente, ce qui n’est pas leur cas.
— Je suis d’accord, renchérit Serge. Tirez du bord du bassin sur tous les reflets bleus et nous vous ferons signe lorsque la voie sera libre.
— Cela me semble correct, répondit Sing Hian. Nous vous surveillerons.
Ils se mirent en position, pendant que leurs amis plongeaient dans le lugubre liquide. Les spectres attaquèrent aussitôt. Malgré leur combinaison, Matthieu et Serge encaissaient dur, et eurent beaucoup de mal à les repérer. Ils en tuèrent tout de même dix, avant de rejoindre l’escalier, ils firent surface et rebroussèrent chemin pour rejoindre leurs amis.
— Nous en avons liquidé cinq, leur dit Jimmy.
— Le compte est bon, vous pouvez nous rejoindre, répondit Serge en leur faisant signe.
Il en restait deux, non prévus, qui attaquèrent aussitôt. Serge et Mathieu se précipitèrent au secours de leurs amis et achevèrent les deux spectres. Sing Hian avait pris de mauvais coups et ils le soutinrent jusqu’à l’escalier, puis Serge lui donna une pilule qui le ranima aussitôt.
— Lorsque vous aurez terminé cette aventure, vous nous donnerez vos pilules bleues, elles nous seront très utiles pour nos combats, plaisanta l’asiatique.
Ils s’engagèrent dans l’escalier qui menait à l’étage supérieur, un silence de mort y régnait. Soudain, un sifflement aigu déchira le silence, une boule métallique arrivait vers eux à grande vitesse. Un voyant clignotant rouge prouvait qu’elle avait repéré sa proie et un éclair bleuté vint frapper l’endroit exact où se trouvait Serge, un dixième de seconde auparavant. Il avait plongé à terre et se retourna en faisant feu cinq fois, pulvérisant la sinistre boule d’acier. Jimmy s’était redressé en gesticulant, sous le regard médusé de ses compagnons, il attira cinq boules qui se dirigèrent droit sur lui. Au dernier moment, le géant s’accroupit et les cinq boules se télescopèrent brutalement et explosèrent.
— Il n’en reste plus que quatre-vingts-quatorze, courage, dit-il en souriant, fier de sa ruse.
La salle était vide et ils avisèrent une porte, marquée d’une sculpture, que Matthieu actionna. Il s’avança dans un long couloir et une boule apparut aussitôt. Le jeune homme la pulvérisa puis trois autres à la suite. Il se recula brusquement et le porte se referma. Soucieux, il vérifia le niveau de charge de son pistolet laser.
— À ce rythme, mon pistolet laser est déjà presque vide et j’ai l’impression qu’il y en a une grande quantité là dedans. J’ai cru apercevoir un chargeur au fond du couloir, qui doit bien faire cent mètres.
Ils se concertèrent un instant.
— J’ai eu l’impression que ces boules se dirigeaient sur une ligne parfaitement droite, à une hauteur bien précise, fit remarquer Sing Hian.
Ils l’observèrent, cherchant à comprendre où il voulait en venir.
— C’est exact, elles circulent à un mètre soixante-dix. Elles sont prévues pour percuter un homme, qui mesure deux mètres dix, en plein cœur, répondit Serge, en détaillant l’asiatique. Tu mesures combien Sing… ?
— Un mètre soixante exactement, je pourrais peut-être aller recharger les pistolets laser, sans que ces boules ne puissent m’atteindre…
— Oui…, mais elles sont sensibles à la chaleur humaine, j’ai peur qu’elles ne changent de cap…
Serge était inquiet. Gilles Boris n’avait pas pu modifier ces caractéristiques, elles étaient dans le programme informatique.

— Tu prends un gros risque Sing, mais nous allons faire un essai. Tu vas te positionner en avant de Matthieu et lorsqu’il tirera, tu t’avanceras doucement, pour vérifier si les boules ne changent pas de cap. Fais très attention !
Matthieu appuya à nouveau sur la sculpture, Sing Hian juste devant lui. La porte s’ouvrit et une nouvelle boule apparut, puis quatre encore. L’asiatique avait fait vingt mètres et les boules passaient au-dessus de sa tête, sans dévier d’un pouce, il recula et se plaça à nouveau devant Matthieu.
— L’expérience parait concluante, admit Serge. Tu penses vraiment pouvoir arriver jusqu’au fond du couloir ?
— Bien sûr ! répondit Sing Hian en saisissant le pistolet laser de Matthieu, qui était vide et en lui tendant le sien en échange.
Il courut jusqu’au fond du couloir, rechargea l’arme et revint au pas de course, très pâle.
— Je vais devoir me taper plusieurs cent mètres, il y a au moins cinquante boules en suspension, bourdonnant à dix centimètres de ma tête. J’avoue que c’est très impressionnant.
Prenant deux nouveaux pistolets laser vides, il repartit en courant. Tout en rechargeant il compta les boules, il en restait dix. Il rejoignait Matthieu et à cet instant, il entendit la porte se refermer, le jeune homme avait reculé sans s’en rendre compte. Sing Hian tourna la tête, soudain inquiet. Cinq boules se précipitaient droit sur lui, attirées par sa chaleur.
Il plongea en arrière, les évitant de justesse et tira, les touchant toutes.
À cet instant, la porte s’ouvrit à nouveau et les dernières boules survolèrent l’asiatique, qui courut vers ses amis, le teint cadavérique.
— Excuse-moi Sing, j’ai reculé sans m’en rendre compte. Tu n’as pas eu de problème au moins ? lui demanda Matthieu, qui bien sûr n’avait rien vu.
Sing Hian lui expliqua la réaction des boules et son plongeon à la dernière seconde.
— C’était ma plus grande inquiétude, avoua Serge, en tapotant amicalement l’épaule de l’asiatique.
Ils s’engouffrèrent tous les quatre dans le couloir, et rechargèrent leurs armes. Serge sonda les murs et trouva deux pièces secrètes, avec chacune cinq boules. Dans la première, il trouva une combinaison antiradiation.
— Il est bien temps, ricana-t-il.
Dans la seconde il y avait de l’or, inutile, qu’il offrit aux deux champions. Il restait encore une grande salle. Avant de l’ouvrir, ils récapitulèrent le nombre de boules restantes, il devait en rester trente-quatre.
— Faites très attention, cette salle dispose d’un étroit passage biscornu, cerné par du liquide radioactif, nous devrons progresser en file indienne. Le jeu étant à l’origine prévu pour un seul homme, je pense que nous n’aurons pas trop de difficulté. Nous en avons au maximum chacun neuf boules à toucher et nos pistolets laser sont chargés.… Bonne chance ! recommanda Serge, en déclenchant l’ouverture.
Mais Gilles Boris avait modifié les données en dupliquant les boules et, plus grave, en glissant deux pieuvres géantes dans le bassin.
— Courez en tirant ! leur cria Serge.
Les quatre hommes traversèrent la salle à toute vitesse, tirant au hasard. Les deux pieuvres se redressèrent à six mètres, au moment où les boules s’activaient. Elles étaient beaucoup plus hautes que les quatre hommes et attirèrent aussitôt le radar des boules meurtrières.
— Regardez ! C’est extraordinaire ! hurla Jimmy.
Ils étaient arrivés à l’autre extrémité de la salle et se retournèrent. Le monstrueux spectacle qu’ils virent alors leur donna des sueurs froides.
Les pieuvres avaient senti l’attaque et dressé leurs tentacules, saisissant les boules qui arrivaient sur elles, à pleine vitesse, ensuite elles plongèrent. Au contact du liquide radioactif, les boules explosèrent, et des morceaux de tentacules volèrent dans la salle. Un silence de mort fit suite à ce vacarme.
— Il reste combien de ces sympathiques animaux de compagnie, Serge ? demanda Matthieu, en frissonnant.
— Si Gilles Boris ne les a pas dupliquées, il n’en reste plus qu’une et ensuite le niveau est terminé, sans ptérodactyle, répondit-il. N’oubliez-pas que si le monstre se trouve dans le bassin central, vous ne devez pas utiliser vos grenades offensives, ajouta-t-il en s’adressant à Jimmy et à Sing Hian.
Ils vérifièrent à nouveau le chargement de leurs pistolets laser, puis Serge actionna le poussoir qui commandait l’ouverture. La dernière porte s’ouvrit dans un grincement sinistre. Une surprise de taille les y attendait, et ils reculèrent rapidement, laissant la porte se refermer. Leur découverte les consterna.

— J’ai évalué au moins cinquante hommes et trente mutants, nous ne pourrons pas traverser, s’inquiéta Serge.
Il saisit l’ordinateur portable, et le consulta fiévreusement.
— À dix mètres à gauche en sortant, il y a une salle qui contient un canon laser prévu pour lutter contre les ptérodactyles, seulement, avec cette armée dehors, atteindre l’entrée parait aléatoire.
— Couvrez-moi et j’irai, proposa Matthieu. Vous avez un chargeur laser à portée de main.
Et le jeune homme actionna l’ouverture de la porte, puis en tirant droit devant lui, il se précipita vers l’entrée secrète. Ses amis ouvrirent un feu d’enfer, pour détourner l’attention. L’affrontement dura plusieurs minutes, et un puissant jet laser leur confirma que Matthieu avait réussi. En douze tirs, il faucha tous les survivants.
C’est le moment que choisirent les pieuvres pour attaquer, il n’y en avait pas une, mais six. Matthieu dirigea son arme vers le bassin central, qui en contenait deux. Une rafale laser lui répondit, faisant s’écrouler les murs autour de lui. Il était totalement à découvert et les six pieuvres avaient dressé leurs tentacules dans sa direction, concentrant leur tir.
Jimmy et Sing Hian se précipitèrent et lancèrent leur chapelet de grenades dans les deux bassins latéraux, provoquant une explosion apocalyptique. Les deux pieuvres du bassin central orientèrent leurs tentacules vers les deux champions, qui avaient fait demi-tour à toutes jambes. Matthieu ajusta à nouveau son tir, et détruisit les deux monstres. L’ultime bataille était terminée.
Il sortit des ruines de sa cachette, un énorme canon laser sur l’épaule. Les quatre hommes se regardèrent et scrutèrent le ciel, redoutant de nouveaux ptérodactyles. Il était rouge et vide, le soleil orange était haut et diffusait une chaleur intense. À cet instant, un vrombissement se fit entendre.
— Mais, c’est notre avion ! s’exclama Jimmy.
Au même moment, trois ptérodactyles surgirent à hauteur de la terrasse et les quatre champions se jetèrent à terre. Matthieu ajustait son canon laser vers le premier oiseau, lorsque l’avion apparut juste derrière lui et le toucha d’un seul tir précis. Le monstrueux engin s’écroula en flammes, dans l’un des bassins latéraux, déclenchant une puissante explosion. Alors, l’avion repartit droit vers le ciel, poursuivit par les deux derniers ptérodactyles.
— Yasmina nous avait dit qu’elle savait piloter, mais c’est une virtuose, lança Jimmy, admiratif.
La jeune fille avait entraîné ses poursuivants en plein ciel et brusquement, elle fit un impressionnant looping, se retrouva face à eux et les détruisit en enfilade. Puis en agitant les ailes, en signe de victoire, elle se posa comme si rien n’était. Les quatre amis, subjugués, traversèrent la terrasse en se frayant un passage parmi les cadavres, et rejoignirent un dernier boîtier marqué « Load », « Save » et « Escape ». Serge et Matthieu se sauvegardèrent, des lettres clignotantes indiquaient « Victory », la partie était terminée.
— Nous allons devoir vous quitter mes amis, je ne sais comment vous remercier pour votre aide. Nous ne nous en serions pas tirés seuls cette fois-ci, surtout sans combinaison antiradiation, dit Serge en rechargeant son arme instinctivement.
Il sourit en regardant son pistolet laser, devenu inutile et le tendit à Sing Hian.
— Il te sera plus utile qu’à moi, maintenant !
Matthieu l’imita, en tendant le canon laser et son pistolet à Jimmy.
— Nous devons trouver un moyen de correspondre, ajouta-t-il. Nous avons trop d’aventures en commun pour nous quitter ainsi.
— J’ai peut-être une idée ! renchérit Serge.
L’informaticien sortit l’ordinateur portable de son sac à dos, chercha le programme adéquat et frappa rapidement :
« De Planète rouge à Planète bleue par Piège virtuel ».
Puis, il tendit l’ordinateur à Sing Hian.
— Je te le confie, en souhaitant que la liaison fonctionne. Une fois rentrés, nous essayerons de vous joindre, en utilisant le même mot de passe inversé : « De Planète bleue à Planète rouge par Piège virtuel ». Ainsi, nous pourrons peut-être communiquer.
— Nous vous jurons de ne jamais éteindre cet ordinateur, répondit l’asiatique ému.
Au même instant, Yasmina, souriante, apparut sur la dernière marche d’un escalier extérieur.
— Alors, jeunes gens ? Vous ne pensiez pas que j’aurais pu vous être utile…
Matthieu se précipita vers elle.
— Si tu veux que je t’embrasse, retire d’abord ta combinaison antiradiation, elle est toute verte ! rit-elle, en dévoilant ses dents blanches, étincelantes.
Les quatre champions s’exécutèrent et elle accepta leurs baisers, en insistant plus longuement pour Matthieu. Puis ils se congratulèrent tous chaudement, heureux d’avoir réussi cette impressionnante aventure.
— Adieu mes amis, dit enfin Serge. Nous devons vous quitter, j’ai le sentiment que l’on nous attend sur la Planète bleue.
Il paraissait très ému, et Matthieu ne pouvait détacher son regard des yeux violets de Yasmina. Les deux jeunes hommes se donnèrent la main en actionnant « Escape » et disparurent, dans un tourbillon de fumée bleue.
— La Planète bleue, … tu crois qu’elle existe ? demanda Jimmy à Sing Hian, qui hocha la tête.
— Ce serait extraordinaire ! ajouta le géant roux, en regardant le ciel.
Yasmina et Sing Hian firent de même en silence.




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11


Pierre Tréson et Francis Pugeol étaient entrés discrètement dans la propriété de Gilles Boris, sa voiture était toujours stationnée devant le perron. Ils se glissèrent dans le garage, un revolver au poing, et gravirent l’échelle du conduit d’aération en silence. Le détective poussa doucement la grille, qui menait à la pièce où étaient séquestrés Matthieu et Serge Alès, puis jeta un œil par le trou de la serrure de la porte de la salle informatique. Gilles Boris se trouvait devant son ordinateur et surveillait l’écran mural, en ricanant.
— Alors mes chéris, êtes-vous bien installés sur votre piédestal entouré de liquide radioactif ? C’est étrange, vous n’avez pas l’air affolé… Mais, mais ! Où avez-vous donc trouvé ces combinaisons antiradiation ? Ce n’est pas possible ! Et ils plongent ! Et qui sont ces deux hommes ? Vous avez l’air de bien vous connaître… Même à quatre, vous n’y arriverez pas !
Pierre, atterré, regarda Francis Pugeol en écoutant l’informaticien.
— Il est fou à lier. Il faut faire quelque chose ! murmura-t-il.
— Ne bougez pas, nous ne pouvons pas agir avant la fin de la partie, j’en suis convaincu, répondit le détective à voix basse, en montrant les deux silhouettes étendues qui s’agitaient. Nous les tuerions, vraisemblablement…
L’attente devint interminable, Gilles Boris avait repris son délire verbal.
— Avec les surprises que je t’ai réservées, tu ne reconnaîtras pas ton jeu Serge, mon très cher ami.
Il rit à nouveau.

— … Toi et tes acolytes, vous allez mourir dans cette usine et, de toute façon, même si par miracle vous terminez la partie, c’est moi qui vous abattrait. Ici, vous n’avez pas de pistolet pour vous défendre.
Le carillon de la porte d’entrée tinta.
— Qui peut bien venir chez moi à cette heure ? Je n’attends personne. D’ailleurs, je n’attends jamais personne, s’étonna l’informaticien en armant son pistolet. Puis il quitta la pièce.
Pierre et Francis en profitèrent pour pénétrer dans la salle informatique et le détective se posta à la porte, tandis que le père de Matthieu regardait l’écran intensément. Il reconnut son fils, qui tirait sur des boules meurtrières. Un petit homme asiatique courait dans un couloir et rechargeait un pistolet laser, puis il repartait en courant, plongeait et détruisait cinq boules à la suite.
Pendant ce temps, Gilles Boris était descendu ouvrir la porte d’entrée. Deux hommes se tenaient sur le perron, ils sortirent une carte en l’apercevant.
— Inspecteurs Truffons et Jarret, vous êtes bien monsieur Boris ?
Et comme l’informaticien acquiesçait, le policier reprit.
— Une plainte a été déposée contre vous, pour enlèvement et séquestration. Nous avons un mandat de perquisition, veuillez nous laisser entrer monsieur, s’il vous plaît.
Sans répondre, Gilles Boris s’effaça devant les inspecteurs, qui entrèrent dans le hall, sans méfiance. Alors, en levant son arme, il les abattit et monta en courant vers la salle informatique.
— Les imbéciles. Personne ne m’empêchera de finir ce que j’ai entrepris ! hurla-t-il en se précipitant dans la pièce.
Il s’arrêta brutalement, le père de Matthieu lui faisait face, un revolver fermement pointé vers lui. Il leva le sien prêt à tirer.
— À ta place, je m’abstiendrais, entendit-il, alors que le canon glacial d’une arme s’appuyait lourdement sur sa tempe.
Il frissonna lorsque Francis l’arma, et laissa tomber son pistolet à terre, sa vengeance était terminée.
Le détective lui passa les menottes et les fixa à un radiateur, puis il descendit secourir les deux inspecteurs. Heureusement, ils n’étaient que blessés.
Il remonta dans la salle informatique et appela le commissariat.

Cinq minutes plus tard les sirènes de police, de pompiers et d’ambulances se faisaient entendre. Pierre se précipita dans la pièce voisine.
— Non ! cria Francis. Nous devons attendre la fin de la partie. S’ils ne la terminent pas, dieu sait ce qui pourrait arriver…
Ils surveillèrent l’écran, la peur au ventre, il y avait cinquante hommes armés et trente mutants satyres. Le père de Matthieu vit, avec angoisse, son fils courir sous les feux croisés, ouvrir un passage secret, et tirer sur ses adversaires avec un canon laser. Puis les pieuvres apparurent… Deux pompiers, spécialistes de la réanimation, s’étaient avancés à leurs côtés, subjugués, et regardaient la scène, en surveillant les écrans médicaux.
— Ne vous inquiétez pas, ils sont solides, ils vont s’en sortir. Ils ont vraisemblablement appris à maîtriser leur self-contrôle.
Effectivement les courbes spectographiques restaient raisonnables, malgré la tension que les deux jeunes hommes devaient subir. Une fois « Victory » affiché sur l’écran, Francis s’avança vers l’ordinateur et l’éteignit. Il se dirigea ensuite vers la pièce voisine, suivi par Pierre et les deux pompiers, qui débranchèrent le cordon d’alimentation de drogue et observèrent les deux jeunes hommes étendus, toujours inconscients.
— Ils sont en parfaite santé, nous allons les ranimer. dirent-ils en leur fixant des masques à oxygène.
Il ne leur fallut effectivement que quelques minutes pour reprendre leurs esprits.
— Nous avons donc réussi Matthieu, dit Serge, en regardant son ami.
Puis ils se levèrent péniblement et se dirigèrent vers l’ordinateur, que l’informaticien redémarra.
— Mais que faites-vous ? s’étonna Pierre Tréson. Vous n’avez tout de même pas l’intention de faire une partie ?
— Non papa, plus jamais ! Mais nous avons un message à envoyer, le rassura Matthieu.
Serge, attentif, regardait l’écran s’activer, et lorsque « Piège virtuel » s’afficha, il composa rapidement :
« De Planète bleue à Planète rouge par Piège virtuel/ Ici Matthieu et Serge/ Nous sommes sains et saufs/ Vous pouvez nous répondre/ À vous … ».

Sous le regard étonné de leurs sauveteurs, ils attendirent vingt cinq longues secondes, tendus. Soudain, l’ordinateur émit un double Bip, et un texte apparut sur l’écran :
« De Planète rouge à Planète bleue par Piège virtuel/ Ici Sing Hian, Yasmina et Jimmy/ Nous sommes ravis de vous savoir sains et saufs/ À bientôt sur la Planète rouge, qui sait ? ».
Serge et Matthieu se congratulèrent.
— Génial ! Nous avons réussi à établir la liaison.
Pierre Tréson, Francis Pugeol et les deux pompiers les regardaient sans comprendre.
— Nous vous expliquerons plus tard, si vous le voulez bien. Pour l’instant, nous avons besoin de récupérer, en fait, nous sommes épuisés, ajouta simplement Matthieu.

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Épilogue…


Quinze jours avaient passé, et Matthieu était rentré chez lui. Serge venait souvent lui rendre visite, et ils commentaient leurs extraordinaires aventures. Matthieu s’était transformé, il avait grandi de dix centimètres et mesurait un mètre quatre-vingt, il avait aussi pris dix kilos de muscles et les entretenait tous les jours. Il avait délaissé les jeux vidéo, et apprenait méthodiquement la programmation, avec l’aide précieuse de Serge. Il espérait bien, lui aussi, devenir un expert en informatique.
L’informaticien aussi avait changé. Il n’avait pas grandi, mais il avait pris du poids et s’était inscrit dans une salle de musculation. Il avait décidé de ne pas commercialiser son jeu, et travaillait les liaisons informatiques par satellite. Une petite voix lui soufflait qu’ils reverraient peut-être leurs amis un jour.
— Tu crois que la Planète rouge est un monde réel, Serge ? demanda soudain Matthieu.
— J’aime l’imaginer, pourquoi pas après tout. Tu as envie d’y retourner ? lui répondit son ami. Je peux savoir pourquoi… ? insista-t-il en souriant.
Matthieu répondit en rougissant.
— Vois-tu, il y a là-bas une adorable petite eurasienne qui ne m’avait pas laissé indifférent.
— Reviens sur terre, mon vieux ! Des filles il y en a plein ici, et elles sont tout aussi délicieuses, rétorqua Serge en riant.

À trois cents millions de kilomètres de là, deux hommes et une jeune fille, à la beauté envoûtante, regardaient dans un immense télescope.
— Tu la vois Sing ? Tu la vois ?
Le champion se détacha, à regrets, du télescope et se retourna vers son ami :
— Oui, je l’ai vue Jimmy. Elle est magnifique et vraiment toute bleue…
Yasmina sourit et des larmes emperlées coururent sur ses joues, voilant ses immenses yeux violets.


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